‘‘Israël, de la terreur au massacre d’Etat’’ : vers la paix des cimetières

Si les pays arabes ne se ressaisissent pas, il y a fort à parier que d’ici une cinquantaine d’années, l’arc qui s’étend du Moyen-Orient au Maghreb ne sera plus composé que d’Etats ethno-tribaux en lutte les uns avec les autres, sous l’œil vigilant de l’arbitre israélien opérant en tant que mercenaire pour le compte des intérêts américains. L’histoire éclaire le présent et laisse entrevoir l’avenir.

Par Dr Mounir Hanablia *   

Il y a un objectif dans la politique israélienne qui n’a jamais varié : chasser tous les Arabes de Palestine. Et, si possible, dominer les Arabes au Moyen-Orient.

Ainsi l’entreprise terroriste sioniste a débuté sous le mandat anglais à partir de 1936 par des attentats aveugles dans le but de faire le plus de victimes: bombes dans les marchés, cinémas, bus, magasins, afin d’instaurer la peur des représailles pour toute attaque contre les Juifs. Cela s’est poursuivi jusqu’à la veille du départ des Anglais et du partage du territoire palestinien accepté par l’agence juive pour des raisons tactiques.

Il s’agissait désormais de faire partir les populations arabes non seulement du territoire accordé aux Juifs, mais aussi du territoire arabe dont une partie serait ainsi annexée par les sionistes. Les attaques terroristes contre les populations civiles prirent alors une grande ampleur. Des massacres tels celui de Deir Yassin commis par l’Irgoun de Menahem Begin avec le plein accord de la Haganah sous l’autorité de David Ben Gourion eurent pour objectif de vider le territoire de ses habitants, et d’empêcher leur retour, en détruisant les maisons et en minant les villages rasés et abandonnés.

Massacre de Deir Yassine le 9 avril 1948 ordonné par David Ben Gourion, fondateur de l’Etat d’Israël.

Le terrorisme au service de l’Etat  

A la fin de la guerre, les sionistes sont ainsi demeurés maîtres de 78% du territoire, alors qu’au départ, l’Onu ne leur en avait concédé que 51%. Seuls 15% de la population demeurait arabe mais les dirigeants sionistes tentèrent de résoudre la question par un transfert de tous les Arabes palestiniens en dehors d’Israël contre l’accueil des populations juives des pays arabes.

En réalité l’Etat israélien avait besoin d’une main d’œuvre peu qualifiée et bon marché, qu’il pensait ainsi obtenir par l’arrivée des juifs sous-développés. ‘‘L’opération Babylone’’, un livre écrit par l’Israélien d’origine irakienne Shlomo Hillel relate ainsi comment des attentats meurtriers, en particulier contre une synagogue, furent perpétrés entre 1950 et 1951, contre les Juifs irakiens par l’agent sioniste Mordekhai Ben Porat pour «convaincre» la population juive, particulièrement nationaliste fière de son arabité  et intégrée, de quitter son pays. Il fut capturé par la police irakienne mais réussit grâce à des complicités à quitter le pays. Deux de ses collaborateurs furent néanmoins pris, jugés, et exécutés.

Grâce à la corruption, les sionistes obtinrent le transfert d’un nombre important de Juifs arabes en Israël. Néanmoins les pays arabes refusèrent l’accueil des Arabes palestiniens. Il n’y a donc jamais eu de juifs chassés des pays arabes ainsi que le prétendent les dirigeants sionistes actuels dans les transactions tentées pour dédommager les Palestiniens expulsés en 1948.

Cependant en 1953 un massacre fut commis dans village jordanien de Qibya par l’armée israélienne et le village détruit après ce qu’on avait qualifié d’attaques de fédayins, en réalité des Palestiniens qui voulaient franchir le Jourdain et retourner dans leurs villages. Il s’agissait cette fois de provoquer une réaction qui servirait de prétexte à une guerre, pour l’occupation des sources du Jourdain.

En 1954 et en 1955, des attentats furent perpétrés contre des intérêts britanniques et américains en Egypte par des Juifs sionistes égyptiens opérant pour le compte d’Israël, à l’instigation de Ben Gourion qui n’était plus au pouvoir et de son équipe : Dayan, Pérès, Sharon, Isser Harel qui, elle, assumait toujours la sécurité du pays. Le but était d’empêcher tout accord de défense anglo-égyptien ainsi que l’achat d’armes américaines par l’Egypte. Les auteurs de l’attentat furent pris, exécutés, et l’affaire révélée, déclenchant ainsi ce qu’on a qualifié de scandale Lavon du nom du ministre israélien de la Défense.

En réalité l’affaire avait été montée pour affaiblir le premier ministre israélien Moshé Sharett, jugé arabophile, alors que celui-ci allait entamer des pourparlers de paix avec le président Nasser.

Occident complice, Arabes impuissants

Cependant un raid opéré par l’armée israélienne à Gaza perpétré par Ariel Sharon faisant plusieurs dizaines de morts enterra tout espoir de paix et convainquit le président Nasser de la nécessité de la fameuse transaction des armes tchèques qui allait l’éloigner de l’Occident et aboutir en 1956 à l’affaire de Suez et à l’attaque tripartite contre l’Egypte : France, Grande-Bretagne et Israël.

Toutes ces affaires mirent en évidence la constance de la politique israélienne dans la recherche de la guerre contre les pays arabes tout en s’assurant du soutien occidental à son bénéfice exclusif, un choix dont il ne devait jamais dévier.

En 1982, après les accords de paix de Camp David de 1979 reconnaissant aux Palestiniens la pleine autonomie, Israël jugea le moment venu d’annexer définitivement la Cisjordanie occupée depuis 1967. Mais pour cela il fallait se débarrasser de l’organisation politico-militaire mise en place au Liban par l’OLP, reconnu comme seul représentant légitime du peuple palestinien par les Etats arabes.

C’est ainsi qu’en 1982, après l’assassinat d’un ambassadeur, l’armée israélienne pénétra au Liban et encercla Beyrouth alors que selon Ariel Sharon, devenu entre-temps ministre de la Défense, il s’agissait de repousser les Palestiniens d’une quarantaine de kilomètres de la frontière nord d’Israël. Deux mois après, les forces de l’OLP évacuaient par mer Beyrouth assiégée, escortées par les forces américaines, françaises, italiennes. Ces forces, leur mission accomplie, repartirent plutôt que prévu et refusèrent de protéger les civils palestiniens restés sur place ainsi qu’elles s’y étaient engagées.

Le président Bechir Gemayel, chef des Phalanges, allié à Israël, était élu président du Liban à l’ombre des chars israéliens. Il refusait alors d’établir des accords de paix avec les Israéliens, du moins immédiatement, déclenchant ainsi l’ire des sionistes. Au cours d’une réunion au siège de son parti, il était alors assassiné par l’explosion d’une voiture piégée, à l’instigation probablement des services secrets syriens. Aussitôt le ministre israélien de la défense Ariel Sharon, le chef d’état major Rafael Eytan, et le  commandant de la région nord Amir Drori, décidaient d’occuper Beyrouth Ouest «afin de protéger les civils» et de faire pénétrer dans les camps palestiniens sans défense, leurs pires ennemis, les phalangistes et l’armée du Liban Sud de Saad Haddad, dans le but de ratisser les camps à la recherche de terroristes, sachant que tous les combattants étaient déjà partis pour Tunis, Alger, et Aden.

Massacre de Sabra et Chatila au Liban le Le 16 septembre 1982 planifié par Ariel Sharon.

Quarante huit heures plus tard, après la dénonciation par un délégué norvégien et des médecins américains et britanniques d’un massacre perpétré à Sabra et Chatila, et obéissant à des pressions américaines, les Israéliens évacuaient les miliciens libanais des camps palestiniens alors que des bulldozers y opéraient déjà «afin de détruire les constructions illégales», et près de 3000 morts étaient dénombrés, des enfants et des vieillards, assassinés parfois au couteau, et pour les femmes, souvent après avoir subi les pires sévices. Aussitôt un scandale médiatique international éclatait impliquant les généraux et les dirigeants israéliens. Afin de se dédouaner, Begin et Sharon déclaraient contre toute évidence avoir ignoré la perpétuation du massacre, ainsi d’ailleurs que les officiers israéliens présents sur les toits des maisons entourant les camps, éclairés la nuit par les fusées israéliennes, à quelques mètres du QG phalangiste.

Afin de restaurer la crédibilité du pays, sérieusement entamée malgré les manifestations massives contre la guerre du public israélien, le gouvernement décida alors l’institution d’une commission d’enquête indépendante avec la mission d’établir la responsabilité dans le gouvernement et l’armée du massacre commis par les miliciens libanais.

La réalité est que l’État israélien s’instituant ainsi juge et partie se réservait par là le droit d’établir la vérité officielle sans interférence internationale, sur les bases qu’il avait lui-même choisies, celles du massacre perpétré par des étrangers en terre étrangère sur d’autres étrangers. Autrement dit, les soldats israéliens étaient d’emblée innocentés de toute accusation de crimes qu’ils auraient eux-mêmes commis, ce qui à priori n’était pas aussi évident qu’on pouvait le penser.

Les Israéliens s’inspiraient des méthodes nazies

Naturellement la commission dite Kahane fit ce qu’on attendait d’elle et blâma le ministre Ariel Sharon de ne pas avoir prévu le massacre alors qu’en sept années de guerre les milices chrétiennes libanaises et les Palestiniens ne s’étaient jusque-là pas fait de quartier, en particulier à Damour et à Tell El-Zaatar. Il fut bien obligé de démissionner mais ce faisant la commission le disculpait de toute préméditation. Autrement dit si les Libanais avaient des comptes à régler avec les Palestiniens c’était la fatalité du Moyen-Orient «occupé» par les Arabes. Ainsi que l’a si bien rappelé l’auteur, le hic est que les Forces Libanaises chrétiennes niaient justement tout lien entre le Liban et les Arabes. Mais le but était de démontrer à ce moment-là que toute minorité devait avoir son armée et sa milice, et c’est bien pourquoi avant de se retirer les Israéliens armèrent les milices druzes libanaises afin de se venger du président chrétien qui refusait de normaliser les relations de son pays avec eux.

Finalement cette commission Kahane condamnant un ministre de la Défense et des officiers supérieurs pour «négligence» ainsi que les manifestations populaires contre la guerre, donnèrent l’occasion aux thuriféraires de l’Etat hébreu, «seule démocratie dans la région», de vanter l’humanisme et le comportement civilisé de son peuple. Elle servit aussi à accuser tous ceux que les travaux et les conclusions de la commission n’avaient pas convaincus, d’antisémitisme, et même de nazisme. Le problème est que les Nazis lors de l’occupation de la Pologne, de l’Ukraine et de la Yougoslavie, n’agissaient pas différemment lorsqu’ils introduisaient dans les ghettos juifs les milices armées nationalistes antisémites locales, et qu’ils faisaient mine d’ignorer les atrocités ce qui s’y déroulaient.

Pour en revenir et trois guerres du Golfe plus tard, Israël et l’Arabie Saoudite étaient sur le point de conclure une alliance historique, politique, militaire, économique, incluant l’Inde et l’Union européenne, contre l’Iran, désigné comme la plus grave menace pesant sur la région, et les gouvernements israéliens depuis les accords d’Oslo de 1994, avec la colonisation intensive des territoires occupés et la violence meurtrière qui l’accompagne, les tentatives d’occupation des mosquées de Jérusalem et d’y entraver le culte musulman, avaient rendu illusoire toute perspective d’un Etat palestinien indépendant, ainsi que préconisé par les présidents américains Ronald Reagan après le massacre de Sabra et Chatila, et Georges Bush Jr à l’issue de la seconde guerre du Golfe.

Israël est donc bien le responsable de l’absence de règlement du problème palestinien, et depuis la conclusion d’accords de paix avec de nombreux Etats arabes, son objectif est désormais de les obliger à accueillir chez eux les populations palestiniennes afin de réaliser le vieux rêve sioniste, en obtenant une nation exclusivement juive dont la totalité du territoire lui appartiendrait, afin de finaliser à son avantage la conclusion de la question palestinienne.

C’est dans ce contexte que la guerre de Gaza a éclaté. Israël prétend que l’attaque du 7 octobre dernier a fait 1200 victimes et s’est accompagnée d’atrocités. C’est possible, mais étant donné tout ce qui précède dans cet article, il convient d’être prudent. Cependant, l’Etat israélien en a pris prétexte pour détruire totalement la bande de Gaza et la rendre inhabitable dans le but d’en obliger les deux millions d’habitants à partir, avec la complicité américaine, tout en renforçant son emprise sur la Cisjordanie; si en 1982 Ronald Reagan avait obligé les Israéliens à évacuer Beyrouth après les bombardements terroristes de leur aviation et de leur artillerie, et après le massacre de Sabra et Chatila, cette fois le soutien politique et militaire américain a été total. Seules les importantes manifestations antisionistes à travers le monde, y compris en Amérique, sont venues perturber ce soutien dans la perspective des prochaines élections américaines. Néanmoins, il semble que cette guerre de Gaza puisse s’étendre au Sud Liban, peut-être même à l’Iran, si le soutien américain est acquis. La candidate à la présidence américaine Nikki Haley ne se cache déjà pas de mettre le régime iranien dans le collimateur.

Les Arabes dans un rôle de spectateurs

En effet, l’enjeu de la guerre semble englober également le protectorat israélien sur le Golfe arabo-persique et la place convoitée par Israël en tant que plaque tournante du commerce entre l’Europe, le Moyen et l’Extrême Orient, un peu à l’instar de Singapour. Dans ces conditions, il n’est certainement pas illogique de prétendre que cette guerre qui s’étend en Syrie, en Irak, au Yémen, constitue effectivement la réaction de l’Iran à l’entreprise israélo-américaine. Et les États arabes ne sont plus que les spectateurs d’un conflit qui les dépasse.

C’est à cette situation que la paix établie avec Israël sous l’égide américaine les a amenés et le pire exemple en est l’Egypte, un pays non seulement exclu de son aire d’influence naturelle, le Moyen-Orient, mais aussi de l’Afrique puisqu’il ne peut pas s’opposer au détournement des eaux du Nil.

Le massacre de Gaza ordonné par Benjamin Netanyahu se poursuit depuis le 7 octobre dernier.

L’ampleur de l’entreprise Israélienne à Gaza semble être liée à la démission stratégique des pays arabes, quand elle ne la consacre pas.

En conclusion, la situation actuelle n’est que la conséquence d’un projet colonial sioniste qui a invariablement poursuivi le même but d’occupation, de spoliation de la terre et de recomposition ethnique, par le terrorisme et le massacre, et qui tirant bénéfice de l’intervention et du soutien américains ainsi que de la normalisation des rapports avec les Etats arabes, semble passer à une nouvelle phase, celle de la domination totale sur la région.

Si les pays arabes ne se ressaisissent pas il y a fort à parier que d’ici une cinquantaine d’années, l’arc qui s’étend du Moyen-Orient au Maghreb ne sera plus composé que d’Etats ethno-tribaux en lutte les uns avec les autres, sous l’œil vigilant de l’arbitre israélien opérant en tant que mercenaire pour le compte des intérêts américains.    

‘‘Israël, de la terreur au massacre d’Etat’’, de Ilan Halevi, éd. Papyrus, Paris, 1er  janvier 1984,  181 pages.

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