Entretien avec Ken Bugul : «Être en rébellion est un devoir»

Femme de lettres sénégalaise, la romancière Ken Bugul (qui signifie en wolof : Celle dont personne ne veut) pseudonyme de Mariétou Mbaye Bileoma), est née en 1947. Enfant terrible des Lettres africaines, elle écrit l’expérience de la douleur, les quatre vies dans une société polygame, les défis, la liberté, les luttes, les méprises.

Entretien conduit par Tahar Bekri

Le cri de Bugul, sa transgression des interdits, sa rage de vivre, en Belgique, au Bénin, au Sénégal, entre affranchissement de l’archaïsme et retour au bercail, dans les contrastes assumés pour être admise, font de son écriture l’une des plus originales en littérature.

Quelques titres : Le Baobab fou, De l’autre côté du regard, Cendres et braises, Mes hommes à moi, Aller et retour.

On ne peut évoquer la littérature du Sénégal, sans vous considérer comme l’une de ses voix rebelles ? L’êtes-vous toujours ?

Rebelle une fois, rebelle pour toujours! Être en rébellion est un devoir quand on se sent lésé dans ses droits fondamentaux. C’est la rébellion qui permet de maintenir les équilibres et d’éviter les compromissions et la facilité qu’offrent les zones de confort au détriment des valeurs communes dont le respect de la dignité humaine. Je suis en rébellion permanente pour consolider les acquis et ne pas relâcher la vigilance.

Condition de femme écrivain ? De femme africaine ?

Une écrivaine se trouve dans les mêmes conditions qu’un écrivain. Elle veut produire des œuvres de qualité dans de bonnes conditions de paix et de sécurité.

De nos jours, la condition de la femme, qu’elle soit écrivaine ou non, africaine ou non, est intégrée dans la grande condition humaine contemporaine. La femme écrivaine, la femme africaine, ne sont plus des sujets de débats. Elles sont dans le débat global. Évolution, émancipation, mondialisation, obligent.

L’écriture permet-elle l’émancipation personnelle ? Ou cela vous parait-il secondaire ? D’abord l’émancipation de votre peuple ?

Pour moi, c’est évident que l’écriture a contribué à mon émancipation personnelle. L’émancipation est un désir et pour l’assouvir, il y a tout un processus et l’écriture en fait partie. Pour ce qui est de l’émancipation d’un peuple, c’est la même chose. Un peuple doit mener son combat pour son émancipation s’il la désire vraiment et l’écriture peut en être l’inspiration et même l’instigatrice.

La connaissance des différentes littératures du continent africain, vous paraît-elle en souffrance ou certains pas ont été faits ? Que faut-il faire ?

Il faut reconnaître et admettre que depuis plus de deux décennies, la connaissance des littératures du continent s’est beaucoup développée. C’est peut-être hors du continent que l’intérêt et la connaissance de ces littératures ont commencé. Les départements de littératures africaines dans les universités anglo-saxonnes, un festival comme Festafrica y ont joué un grand rôle. Il y a actuellement beaucoup de salons du livre et de rencontres littéraires qui mettent à l’honneur les littératures du continent où il existe aussi beaucoup de salons.

Récemment, la première édition du festival du livre africain de Marrakech a rassemblé des auteurs du continent et de la diaspora. On voit ainsi qu’il y a d’énormes avancées. Des auteurs du continent sont primés avec les plus hautes distinctions littéraires.

Où en est la littérature du Sénégal aujourd’hui ?

La littérature sénégalaise se porte bien aujourd’hui. Il y a une relève assurée. De jeunes auteurs sont remarqués pour leur talent dont beaucoup de jeunes femmes.

L’Etat s’est investi avec une importante subvention pour la chaîne du livre, ce qui est stimulant pour les éditeurs et les auteurs.

Dans la réalité du monde actuel, qu’est-ce qui vous préoccupe ?

La fin pathétique du monde, si rien n’est fait. Devant tant de conflits, de tensions, de violences, d’indifférence, les sociétés humaines sont en train de se désintégrer. Il nous faut un sursaut de courage pour restaurer l’humain. La littérature y a un rôle important à jouer. Surtout la poésie.

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