La Tunisie et ses «amis» Qataris : un jeu de dupes

Avant d’adopter l’accord de siège avec le Qatar Fund for Development (QFFD) ou Fonds qatari pour le développement, nous devons nous interroger sur les conséquences probables et prévisibles des privilèges, avantages et facilités faramineux et injustifiés exigés par le Qatar et que notre pays s’apprête à lui accorder… les yeux fermés. (Illustration : L’émir du Qatar Tamim Bin Hamad Al Thani accueilli à l’aéroport de Tunis-Carthage le 24 février 2020).  

Par Imed Bahri

Le projet d’accord de siège avec le Fonds qatari pour le développement, adopté par le gouvernement, risque de passer comme une lettre à la poste auprès du parlement aux ordres en place en Tunisie depuis mars dernier.

Par les énormes privilèges, avantages et facilités accordés par l’Etat tunisien au dit fonds, ce projet d’accord suscite des interrogations légitimes dans l’opinion publique sur ses tenants et ses aboutissants, mais ces interrogations ne semblent pas déranger outre mesure le pouvoir exécutif, déterminé à aller jusqu’au bout de sa démarche en faisant adopter le projet de loi par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), une assemblée pourtant peu représentative des Tunisiens puisqu’elle a été élue suite à un scrutin marquée par un taux de participation de seulement 11,2% (soit 88,8% de taux d’abstention).

Des clients islamistes  

Lors de la présentation d’une première mouture de ce projet de loi présentée lors de la précédente législature et défendue par les députés du parti islamiste Ennahdha et leur chef Rached Ghannouchi, «clients» du Qatar en Tunisie, pour ne pas dire ses «agents» attitrés, la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, aujourd’hui en prison, s’était fermement opposée à son adoption. On se souvient des combats homériques qu’elle et les autres députés PDL avaient menés contre Ennahdha, Rached Ghannouchi et ce projet de loi qui, selon elle, risquait d’aliéner la souveraineté tunisienne et de la sacrifier sur l’autel de l’allégeance à l’émirat du Qatar.

Que le gouvernement actuel, qui fait face à une grave crise financière et ne parvient pas à trouver des bailleurs de fonds extérieurs, ait besoin d’argent qatari, cela pourrait se comprendre, mais ne convient-il pas de bien peser le prix politique que nous risquons de payer contre les miettes que le Fonds Qatari pour le développement  promet de dépenser en Tunisie ? Et puis, quand on connaît le sale rôle joué par le Qatar au lendemain de la révolution de 2011 en Tunisie et dans les autres pays arabes, pour faire échouer la transition démocratique, notamment en soutenant les groupes extrémistes religieux, y compris jihadistes, on est en droit d’être un tant soit peu vigilant voire suspicieux quant aux plans que nourrit le ‘‘Vilain petit Qatar’’ (pour emprunter le titre de l’ouvrage de Jacques-Marie Bourget et Nicolas Beau) pour notre pays.

Evoquant ce projet de loi dans un post publié sur sa page Facebook ce samedi 3 février 2024, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri a cru devoir lancer l’avertissement suivant : «Lors de la négociation de tout accord international, outre ses bienfaits et ses éventuelles retombées sur la souveraineté nationale, il importe toujours de tenir compte de l’invocation par de tierces parties de la clause de la nation la plus favorisée en vue de se voir accorder ipso facto les nouveaux avantages et privilèges accordés à toute puissance ou entité étrangère.» Et d’ajouter : «Il y a lieu d’espérer que l’accord de siège avec le Fonds Qatari pour le développement tiendra compte de ce facteur dans cette atmosphère de suspicion nourrie par de nombreuses allégations au sujet des éventuelles arrière-pensées des différents mécanismes financiers qataris en Afrique, en Europe et même en Tunisie depuis 2011.»

Les yeux fermés

«Ainsi, toute concession accordée au fonds qatari risque fort d’être revendiquée par des institutions et mécanismes étrangers notamment américains, européens et arabes, et notamment les pays pétroliers en quête de projection de pouvoir et de nouvelles conquêtes et acquisitions internationales», a averti à juste titre M. Kasri, dont l’expérience diplomatique et la connaissance des arcanes des relations internationales devraient nous dissuader d’adopter un accord aux termes très déséquilibrés en notre défaveur.

Aussi, et avant d’adopter ledit accord de siège, devrions-nous nous interroger sur les conséquences probables et prévisibles des privilèges, avantages et facilités faramineux et injustifiés exigés par le Qatar et que notre pays s’apprête à lui accorder… les yeux fermés. Et c’est le cas de le dire.    

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