Témoignage : Bonjour de Gaza la dévastée

Nous publions ci-dessous ce témoignage poignant d’un habitant de Gaza, qui partage sa peine avec ses collègues et amis universitaires, «solidaires et de bonne volonté», à travers le monde. «Vous êtes mon seul réconfort dans cet enfer quotidien», leur dit-il, en racontant la tragédie que lui et tous les Gazaouis vivent depuis l’invasion de leur territoire par l’armée israélienne. (Illustration : l’auteur devant les débris de ce qui reste de son quartier).

Par Ziad Medoukh *

Croyez-moi : ma détermination, mon courage, ma résilience, ma patience, et mon optimisme n’arrivent pas à dépasser ma détresse totale

Après presque quatre mois depuis le début de cette agression horrible de l’occupation contre la population civile de la bande de Gaza, la situation sur place est de plus en plus catastrophique et terrifiante.

La vie a un goût amer, en fait, il n’y a pas de vie à Gaza. Elle est totalement paralysée. Il n’y a rien : ni nourriture, ni eau, ni médicaments, ni électricité, ni gaz , ni lait, ni pain, ni fruits, ni légumes, ni viande, ni poulet, ni poissons, ni moyens de transport, ni logement et ni perspectives.

Des dizaines de milliers d’élèves sont privés de leurs cours, et des milliers d’étudiants sont privés de leurs études. Des milliers de fonctionnaires, d’employés et d’ouvriers sont privés de leur travail et de leurs salaires. Rien ne fonctionne à Gaza actuellement: aucune administration et aucun commerce.

Je suis très triste. Je suis malheureux. Je souffre au quotidien comme tous les habitants de cette région dévastée et laissée à son sort par une communauté internationale officielle complice. Et je suis en train de supporter l’insupportable.

Enfer quotidien

J’ai décidé d’écrire ce témoignage pour partager ma peine avec vous les amis, solidaires et de bonne volonté, vous êtes mon seul réconfort dans cet enfer quotidien.  

Quand j’ai un accès à internet, j’essaie de donner des nouvelles, le problème que pour arriver à un point internet je dois marcher deux kilomètres et devant ce point, il y a un monde fou et que chacun à le droit à trente minutes seulement, tout le monde veut avoir des nouvelles de sa famille au sud et le réseau de communication est souvent perturbé et détruit par les bombardements.

Je vois vos très nombreux messages de soutien et de sympathie – les personnes qui proposent des aides et des dons, je vous remercie beaucoup, je disais toujours que le plus important c’est la solidarité morale et politique. En plus, moi je suis un simple citoyen palestinien de Gaza, je vis comme tous les habitants, et je ne veux pas être privilégié avec mon réseau et mes nombreux amis et connaissances –, même si je ne réponds pas car le réseau internet est très faible, mais vos messages me soulagent, moi le citoyen palestinien de Gaza qui a perdu tout et qui essaie de survivre avec le peu d’espoir qui lui reste

Mon quotidien est très difficile et très compliqué. C’est vrai que j’ai vécu beaucoup de guerres, d’agressions, d’offensives et de carnages. Mais je n’ai jamais vécu une situation horrible comme celle-ci depuis mon enfance.

Actuellement déplacé d’un quartier à un autre et d’une maison à une autre, chez les proches et les cousins, car les bombardements se poursuivent jour et nuit partout dans cette prison à ciel ouvert et fermé, et les chars peuvent arriver dans n’importe quel quartier à tout moment.

Le problème que dans chaque foyer il y de 30 à 40 personnes qui y habitent entre habitants et déplacés, et on doit faire face à cette situation exceptionnelle.

Je suis devenu sans domicile et sans-abri et je dois accepter tout dans ces maisons d’accueil. Je ne peux pas ni lire ni écrire dans ces maisons, à cause du bruit, et la présence de dizaines de personnes, en plus, j’ai perdu mes ordinateurs et ma bibliothèque avec ses 3000 livres en français après la destruction de mon appartement début décembre dernier, je n’ai rien pu récupérer de mes affaires, mes vêtements, mes diplômes, mes livres publiés, mes recherches et mes cours.

Tout le monde rentre chez lui avant 17h, et on dort vers19h. Le soir, on éclaire avec des lampes qu’on recharge le matin avec les panneaux solaires, heureusement qu’il y a toujours du soleil à Gaza. En fait, les panneaux solaires ont beaucoup aidé les habitants de Gaza pour avoir un peu de lumière pendant cette période d’obscurité et de panne électrique depuis le début de cette agression début octobre dernier, et ce en rechargeant leurs lampes, leurs batteries et leurs téléphones portables.

Ziad prépare un thé sous dans la nature.

Pour moi, la nuit, je n’arrive pas à dormir; je pense à mon frère assassiné avec toute sa famille; et je pleure seul. Je reviens à mes beaux souvenirs avant cette agression; j’essaie de rêver et d’espérer un meilleur avenir, mais en vain.

Moi, qui remontais le moral des jeunes et des enfants de Gaza traumatisés, je suis devenu sous le choc et traumatisé moi-même par la succession des événements tragiques qui ont frappé ma famille et tous les citoyens de Gaza ces derniers mois, et je ne trouve personne pour effacer mes larmes et pour calmer ma colère énorme.

Mon cœur saigne tout le temps. Croyez-moi, je ne suis pas pessimiste, et j’aime beaucoup la vie comme tout le peuple palestinien, mais sur place, notre contexte est inimaginable, inacceptable et horrible !

Pour la nourriture, on mange un seul repas par jour et quelques fois un repas tous les deux jours. Il n’y a rien sur les marchés pour manger, souvent une assiette de riz et quelques morceaux de pain, et si on boit une tasse de café ou du thé, c’est un luxe pour nous.

Dans chaque maison, les hommes et les femmes s’activent pour préparer le repas en utilisant le feu de bois, parce qu’il n’y a pas de gaz

Ce n’est pas l’argent qui manque mais les produits alimentaires et essentiels, car depuis 4 mois aucun produit n’entre à Gaza et il n’y a pas d’aides humanitaires qui arrivent dans le nord de la bande.

En plus, il n’y a aucune organisation internationale ou association locale qui s’occupent des personnes démunies et déplacées qui sont très nombreuses actuellement dans la bande de Gaza.

Selon un dernier rapport des Nations-Unies, publié début janvier 2024, 90% des habitants de la bande souffrent de l’insécurité alimentaire.  Les gens ici ont commencé à mourir de faim.

Sans oublier que les prix sont multipliés par dix, et les rares produits disponibles sont très chers. Une petite bouteille d’eau minérale coûte actuellement à Gaza 5 euros, auparavant son prix ne dépassait même pas 0,10 euros. Un kilo de riz, qui coûtait 2 euros, est passé à 10 euros. Un kilo de farine coûte 12 euros, alors qu’avant on l’achetait à 1 euros. Et un œuf vaut 3 euros, alors que le plateau de 30 œufs coûtait 4 euros avant l’agression.

Tout est très cher à Gaza, et rien n’est disponible sur les marchés. S’ajoute à tout cela qu’il n’y a ni fruits ni légumes. En fait, tous les terrains agricoles au nord de la bande de Gaza ont été détruits.

Il n’y a pas d’eau potable, et même l’eau à usage domestique, il n’arrive pas dans les robinets, et on l’achète très cher de quelques stations qui fonctionnent encore, car plusieurs puits d’eau ont été détruits.

Plusieurs maladies contaminées touchent les habitants. Le pire est qu’il n’y a aucune autorité, aucun gouvernement et pas services municipaux qui gèrent et contrôlent la situation très critique. Chacun se débrouille seul pour survivre.

Par contre, les Palestiniens de Gaza sont solidaires entre eux, mais quelquefois, les gens n’ont rien à donner, parce qu’il n’y a rien sur place.

Le matin, le souci de chacun est de cherche à quoi nourrir sa famille et cherche de l’eau avec énormément de difficultés.  

Quand je marche dans les rues de Gaza, je deviens très malheureux, car dans chaque quartier, il y a des maisons, bâtiments, immeubles et infrastructures civiles détruits et endommagés.

J’apprends chaque jour l’assassinat de mes cousins, proches, amis, collègues, voisins et étudiants, ça me rend très triste car je suis impuissant et je ne peux pas dire un mot de condoléances à leurs familles.

Le sentiment d’impuissance est horrible. Imaginez-vous, il n’y aucune boulangerie, ni magasin, ni pharmacie, ni restaurant et ni café ouvert.

Et le pire est que les gens ici sont très tristes; ils sont préoccupés par leur quotidien tragique; ils pensent à leurs proches disparus et ils essaient de chercher de la nourriture et de l’eau pour leurs enfants. Personne ne parle à personne, aucun échange, aucun sourire, tout le monde est sous le choc; dans chaque famille, il y a des morts, des blessés, des déplacés et des maisons détruites.

Quelques fois, je me demande comment les gens ici font pour survivre et pour exister toujours.

Les blessés ne trouvent pas les soins nécessaires.

Pour ce qui est de la situation sanitaire, elle est dramatique : aucun hôpital ne fonctionne; tous les hôpitaux sont hors-service. Il y a seulement trois cliniques dans toute la ville de Gaza pour soigner 300.000 habitants et déplacés. Dans chaque clinique, il a seulement cinq ou six médecins bénévoles débordés qui reçoivent 5000 patients par jour, sans de vrais médicaments à donner, ou avec des médicaments expirés.

Personnellement, je suis actuellement malade, je ne trouve aucun laboratoire pour faire des analyses ni pharmacie ni hôpital pour me soigner.

Désastre sans précédent

L’armée la plus morale au monde a assassiné 27 000 palestiniens de Gaza jusqu’à présent, et parmi eux 22 000 enfants et femmes, et en a blessé 70.000. Sans oublier, la destruction de presque 65% des infrastructures civiles.

Le problème est que cette armée lâche et criminelle n’a réalisé aucun objectif fixé par ce gouvernement d’extrême droite.

C’est de la folie meurtrière et l’impunité totale sans aucune réaction internationale officielle.

Les Palestiniens de Gaza, malgré leur colère et leur malheur, apprécient beaucoup les manifestations de solidarité partout dans le monde pour dénoncer ce génocide répété et pour appeler à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza.

Quatre mois très difficiles pour moi et pour tous les habitants de Gaza avec des événements douloureux, ces quatre mois étaient terribles.

Le mois d’octobre 2023, au début de l’agression, c’est vrai qu’il y avait des bombardements intensifs, mais j’ai été très occupé; j’accordais des interviews à des médias francophones; j’avais accès à internet, je donnais des témoignages quotidiens et j’avais des contacts réguliers avec les amis et les groupes de solidarité avec la Palestine dans le monde francophone; les marchés étaient ouverts et il y avait un peu de nourriture.  

Le mois de novembre dernier, la situation est devenue très compliquée, avec le début de l’opération terrestre, l’évacuation de ma famille au sud, et avec l’arrivée des chars dans mon quartier dévasté, j’ai été encerclé chez-moi.

Le mois de décembre 2023 était un mois noir pour moi avec l’assassinat de mon frère et de toute sa famille, la destruction de mon appartement et de tout notre immeuble, et l’obligation de quitter mon quartier pour trouver refuge chez les proches.

Le mois de janvier 2024 a connu la poursuite des bombardements et l’arrivée des chars dans toute la ville de Gaza, et j’ai été obligé de chercher d’autres maisons pour y habiter.

Il y a beaucoup d’événements à raconter; j’aurais besoin de livres pour décrire notre quotidien très difficile sous les bombes et sous le choc avec cette situation humanitaire catastrophique et ce désastre sans précédent, et je ne crois pas que je suis toujours vivant, car je vois la mort mille fois par jour, même si je n’ai pas peur de la mort, cependant, je suis inquiet pour notre avenir.

L’aspect positif dans tout cela qui me rend fier de moi : je n’ai pas de haine.  

Amitiés palestiniennes de Gaza qui n’est plus Gaza. Et de Ziad qui n’est plus Ziad.

* Professeur de français, Université Al-Aqsa, Gaza, Palestine.

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