Enjeu de l’image et responsabilité des cinéastes face au monde

La confection des stéréotypes procède d’une propagande orchestrée, répétitive, systématique selon les principes pavloviens. Au nom de l’universalité, le cinéma et Hollywood en particulier fabriquent des lieux communs à la chaîne. Comment aborder la complexité des problèmes du monde avec toutes leurs nuances en usant d’arguments et non de paravents sensationnels?

Par Hichem Ben Ammar *

Qu’a-t-on le droit de dire haut et fort à l’ensemble du monde quand on est originaire d’un pays du Sud, anciennement colonisé? Quel propos est-on autorisé à formuler et sur quel ton pour pouvoir accéder aux réseaux de grande visibilité? A quelle idéologie doit-on se conformer? A-t-on le droit de valoriser des archétypes universels et humanistes en se basant sur des spécificités culturelles ou est-on contraint à produire de la couleur locale et des stéréotypes réducteurs, car accessibles à l’entendement du large public, lui-même conditionné par un matraquage incessant?

La confection de ces stéréotypes procède d’une propagande orchestrée, répétitive, systématique selon les principes pavloviens. Au nom de l’universalité, le cinéma et Hollywood en particulier fabriquent des lieux communs à la chaîne. Rappelons-nous comment a été façonnée l’image des Amérindiens pour justifier et légitimer leur extermination. N’oublions pas la caricature du communiste lors de la guerre froide, à travers les films d’espionnage. Souvenons-nous aussi des représentations de l’ennemi dans la pléthore de films de guerre américains et autres.

La supposée supériorité de l’homme occidental

Le cliché du noir, de l’oriental, de l’immigré, du résistant, du terroriste et de tant d’autres figures sont soumises à des déformations fantaisistes, à l’exagération, à la falsification et dans le meilleur des cas à l’approximation pour ancrer des préjugés et des idées indélébiles confirmant la supériorité de l’homme occidental. Le cinéma est un des moyens d’influence les plus puissants pour nous rappeler la loi du plus fort.

Prétendre que le cinéaste est totalement libre est une illusion, une naïveté. Le créateur ou la créatrice sont encadrés par une meute d’experts. Il/elle intègre les conseils qu’on leur donne quand il/elle ne se fait pas manipuler au point de devenir de simples prête-noms.

En tant que produit industriel le film passe par de nombreux filtres exactement comme dans les usines où il y a un contrôle qualité en amont et en aval. Du script-docteur, au distributeur, en passant par les bailleurs de fonds et les directeurs artistiques de festivals, le système impose ses normes. Mais c’est le producteur qui est le garant du suivi de ce contrôle du contenu car c’est lui qui flaire les tendances du moment et qui anticipe les tenants et aboutissants du marché dominé (et ce n’est un secret pour personne) par le lobby sioniste.

Les producteurs israélo-américains Menahim Golan et Yoram Globus, ex-pilotes de guerre de Tsahal [l’armée israélienne, Ndlr], devenus producteurs à Hollywood dans les années 90, sont d’excellents exemples de cette mainmise sur l’industrie du divertissement. Quant au producteur américain Anron Milchan (‘‘Pretty Woman’’) qui a avoué être un espion du Mossad [le service de renseignements israélien, Ndlr] , il n’est certainement pas le seul à être infiltré dans la nomenclature, un club très fermé où on n’entre que si on a montré patte blanche.

Une forme de censure qui ne dit pas son nom

L’enjeu de l’image est géopolitique. Ne pas vouloir le reconnaître c’est faire preuve d’aveuglement ou de complicité avec un système qui écarte, discrédite ou récupère toute tentative de résister aux formatages, cette forme de censure qui ne dit pas son nom. La propagande en question a pour but, par exemple, de préparer le terrain à une phrase monstrueuse comme celle de Netanyahu : «Les palestiniens de Gaza sont des animaux qu’il faut exterminer» [en fait, pour être plus précis, c’est le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, qui a déclaré : «Nous imposons un siège total contre la ville de Gaza. Il n’y a pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence», Ndlr].

L’affirmation d’une telle énormité a été possible car l’impact sournois de la manipulation quotidienne de l’opinion mondiale a depuis fort longtemps consisté à rendre admissible une telle énonciation afin qu’elle ne choque pas, ayant été préalablement justifiée par des preuves présumées, des faits, des situations, des exemples, fournis par les faiseurs d’images et notamment ceux des pays arabes, en l’occurrence.

Cela veut-il dire que nous devons occulter les problèmes de nos pays, ne pas dénoncer, ne pas dévoiler? Comment formuler la critique pour qu’elle ne tombe pas dans le dénigrement contre-productif ? Comment aborder la complexité des problèmes avec toutes leurs nuances? Comment éveiller les consciences en usant d’arguments et non de paravents sensationnels? Telle est notre passionnante responsabilité de cinéastes face au monde. Seules les images peuvent dire si nous méritons ou pas notre indépendance dans le concert des nations, car faire des images déontologiques c’est d’abord revendiquer la dignité.**

* Réalisateur et critique de cinéma.

** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.