La Tunisie peut encore être un catalyseur de réformes démocratiques mondiales

Les conflits au Moyen-Orient ont depuis longtemps des répercussions effrayantes sur la sécurité et la stabilité internationales. La protection de la démocratie tunisienne constituerait une lueur d’espoir, écrit l’ancien ambassadeur américain en Tunisie. (Illustration : les Tunisiens n’ont pas fini de manifester pour les libertés et la démocratie).

Par Gordon Gray *

La Tunisie, où j’ai eu le privilège de servir comme ambassadeur des États-Unis pendant sa révolution et les premières étapes de sa transition démocratique, présente une opportunité unique pour les États-Unis et l’Union européenne de démontrer leur engagement en faveur de la démocratie.

Après avoir défendu la révolution et la transition démocratique du pays, les États-Unis et l’UE doivent désormais réaffirmer leur soutien à la voie démocratique de la Tunisie.

Lorsque la Commission européenne offre des fonds à la Tunisie dans le cadre d’un accord sur la migration et le développement, elle doit s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une solution à court terme et que ces fonds ne finissent pas directement entre les mains du président, mais qu’ils soient liés aux conditions d’un développement durable, d’une solution à long terme de reconstruction de la démocratie en Tunisie.

La démocratie ne peut échapper aux Tunisiens

La Tunisie joue un rôle extrêmement important dans la détermination de la progression de la démocratie à l’échelle mondiale.

C’est la nation qui a donné naissance au Printemps arabe en renversant Zine El Abidine Ben Ali après 23 ans de régime devenu de plus en plus despotique.

Les Tunisiens ne se sont pas seulement unis pour renverser un dictateur; ils se sont ensuite réunis pour rédiger une constitution et élire des dirigeants qui ont choisi le compromis plutôt que la coercition.

Mais ne me croyez pas sur parole. Je me souviens très bien du regretté sénateur John McCain qui m’avait dit, lors de sa visite en Tunisie peu après la révolution, que «si elle ne peut réussir ici, elle ne pourra réussir nulle part».

La démocratie en Tunisie est cependant en déclin sous le président Kaïs Saïed. Sa dissolution de facto du Parlement en juillet 2021, l’abandon de la constitution et le ciblage des dirigeants de l’opposition, des médias et des militants sont des signes clairs que la Tunisie n’est plus une démocratie.

Cependant, alors que la Tunisie se prépare aux élections cette année, l’administration Biden devrait clairement exprimer – tant dans ses déclarations publiques que dans ses échanges diplomatiques privés – son espoir que le scrutin présidentiel tunisien de 2024 se déroulera de manière aussi transparente que l’ont été ceux de 2019 et 2014.

Il devrait exprimer son désir de voir la libération des dirigeants politiques emprisonnés sur la base de fausses accusations – allant de l’islamiste Rached Ghannouchi à l’ancienne adepte de Ben Ali, Abir Moussi. Et appeler à la fin du harcèlement des journalistes, qui perdure depuis les années Ben Ali.

Le chaud et le froid avec l’argent étranger

En outre, l’administration Biden pourrait utiliser toute une série de carottes et de bâtons économiques pour encourager le président Kaïs Saïed à ramener la Tunisie sur sa trajectoire démocratique postrévolutionnaire.

L’une de ces incitations serait de relancer le contrat de 498,7 millions de dollars (459,3 millions d’euros) de la Millennium Challenge Corporation, une agence américaine d’aide étrangère qui accorde des subventions aux pays dotés de politiques et d’un potentiel économiques forts.

Approuvé juste avant la prise de pouvoir du président Saïed, le 25 juillet 2021, et suspendu depuis, il soutiendrait des améliorations indispensables dans les secteurs des transports, du commerce et de l’eau en Tunisie.

Aider la Tunisie à redresser son économie est essentiel au succès de la démocratie. Comme l’indique le dernier sondage du Baromètre arabe, «les Tunisiens sont plus susceptibles d’associer la démocratie  à la satisfaction des nécessités économiques».

Le président Kaïs Saïed alterne le chaud et le froid sur le programme de prêt de 1,9 milliard de dollars (1,75 milliard d’euros) du Fonds monétaire international – le dénonçant comme un «diktat étranger», même si c’est son propre gouvernement qui l’a négocié.

Cependant, le fardeau de la dette internationale de plus en plus lourde de la Tunisie pourrait éventuellement le contraindre à accepter le plan pour éviter un défaut de paiement. Si et quand cela se produit, le programme de prêts fournirait un levier important aux appels occidentaux en faveur d’élections véritablement équitables.

Tous les regards tournés vers Washington

Il est ici crucial de noter que pour que les États-Unis puissent lutter contre le recul démocratique dans les pays clés, ils doivent mettre de l’ordre dans leurs propres affaires.

Le dysfonctionnement politique au Congrès ne fait qu’alimenter le discours propagé par les autoritaires selon lequel les démocraties sont incapables de répondre aux besoins de leur peuple. Il est donc impératif de donner la priorité aux intérêts des électeurs américains plutôt qu’aux gains politiques à court terme pour restaurer la confiance mondiale dans les institutions démocratiques.

En outre, il est essentiel de planifier la fin des conflits, comme la guerre à Gaza. L’administration Biden doit composer avec des réalités géopolitiques complexes tout en respectant les principes démocratiques et les valeurs humanitaires.
La surveillance mondiale de la diplomatie américaine ne fera que s’intensifier à mesure que cette horrible guerre se prolonge. Les États-Unis soutiendront-ils une occupation israélienne non démocratique et une Autorité palestinienne non démocratique?

La manière dont l’administration Biden répondra à ces questions (par ses actions, et pas seulement par ses paroles) sera le véritable test de son engagement à faire progresser les normes démocratiques dans le monde entier.

Même si les défis posés par les conflits à Gaza et en Ukraine, ainsi que par la montée en puissance de la Chine, sont importants, les États-Unis ne peuvent pas se permettre de négliger la lutte contre le recul démocratique et l’autoritarisme, qui sont des facteurs clés de déstabilisation de nations et de régions entières.

Il est particulièrement crucial de soutenir la démocratie au Moyen-Orient pour favoriser la stabilité, promouvoir les droits de l’homme et atténuer le risque d’une aggravation de l’instabilité et des conflits régionaux.

Protéger la démocratie tunisienne, une lueur d’espoir

Si Freedom House a, à juste titre, tiré la sonnette d’alarme sur les menaces qui pèsent sur la démocratie dans le monde, elle a également noté que «même si les régimes autoritaires restent extrêmement dangereux, ils ne sont pas imbattables».

Le peuple tunisien l’a prouvé en lançant la Révolution du Jasmin. Les amis de la démocratie partout dans le monde doivent se souvenir de cette leçon et continuer à les soutenir.

Les conflits au Moyen-Orient ont depuis longtemps des répercussions effrayantes sur la sécurité et la stabilité internationales.

La protection de la démocratie tunisienne constituerait une lueur d’espoir. Cela offrirait un modèle convaincant pour que l’ensemble de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord progresse vers la paix et la prospérité, et mettrait en valeur le pouvoir transformateur des idéaux démocratiques dans une période tumultueuse.

Traduit de l’anglais.

Source : Euronews.

* Professeur à l’Elliott School of International Affairs de l’Université George Washington. Ambassadeur des États-Unis en Tunisie au début du Printemps arabe et ancien secrétaire d’État adjoint chargé des Affaires du Proche-Orient.

Article de Gordon Gray dans Kapitalis :

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