‘‘Carrhes 9 juin 53 avant J.- C. Anatomie d’une défaite’’ : de Parthes et d’autres, bien avant George Bush et Netanyahu

Quand des dirigeants corrompus, avides, arrogants, autant que le furent les nobles et les sénateurs romains, recourent aux mêmes moyens faits de guerres et de massacres, au nom des mêmes principes du prestige et de l’honneur. 

Par Dr Mounir Hanablia *

Carrhes est cette ville connue plus tard sous le nom de Haran et située en Syrie dans la Jezirah au confluent de l’Euphrate et de la rivière Khabour près de la tristement célèbre Raqqa, capitale de l’Etat Islamique.

En 53 avant l’Ère Universelle (aEU), une grande bataille s’y déroula entre les légions romaines commandées par Crassus, le tombeur de Spartacus, et l’armée de l’empire Parthe, nommé aussi Pahlavi, qui dominait alors l’Iran, une partie de l’Arménie, le Khorasan, et la Mésopotamie (Irak).

Pourquoi Rome avait-elle décidé de conquérir ce vaste empire? C’est que depuis la conquête de l’empire perse achéménide par Alexandre le Grand, roi de Macédoine, les Romains après avoir vaincu les Etats macédoniens dits hellénistiques de Syrie et d’Egypte (Séleucides, Lagides) estimaient leurs armées bien supérieures à celles de leur illustre prédécesseur et capables de contrôler la route de la soie jusqu’en Chine. Les Romains avaient en outre une piètre opinion des armées Parthes, d’autant que lors de guerres précédentes pour l’Arménie et la mer Noire (Pont), celles-ci n’avaient pas fait bonne figure. A cela s’ajoutait l’ambition de Crassus, un homme à qui ses succès dans les affaires avaient valu d’être très riche et qui à la réussite voulait associer la gloire, et à Rome elle ne pouvait advenir que par le triomphe des armes.

L’armée romaine piégée

Au moment où Crassus s’était fait élire au consulat en compagnie de Pompée et César pour constituer le premier triumvirat, ses collègues se couvraient de gloire en Egypte et en Espagne, et lui-même, après avoir été sous les ordres de Sylla, ne voulait pas être en reste, et il ne manquait certes pas de moyens pour armer plusieurs légions.

Crassus, quoique fort influent du fait des prodigalités que lui permettaient ses richesses, et brillant tribun, n’avait pas la réputation d’être un grand stratège militaire, malgré sa victoire sur les esclaves de Spartacus. Étant à Rome aussi influent que craint, il réussit à convaincre le Sénat qu’il était propice d’intervenir en Orient.

Il faut rappeler à cet effet qu’un traité de paix avait été établi avec les Parthes à l’issue de guerres précédentes ayant trait à des conflits de succession chez ces derniers ou à l’Arménie. C’est une nouvelle fois pour le contrôle de ce pays que les hostilités allaient s’ouvrir.

Le Roi d’Arménie avait fait appel aux Romains pour repousser les Parthes et ceux-ci avaient placé une armée au nord en face des Arméniens et une autre sur la frontière de l’Euphrate.

Contre l’avis du Roi d’Arménie qui préconisait de marcher au nord, les armées romaines  franchirent l’Euphrate sur un pont constitué de barques flottantes et s’engagèrent sur la route semi-désertique du sud-est conduisant à la capitale Ctésiphon. Au sud du confluent du Khabour, ils trouvèrent en face d’eux l’armée Parthe constituée principalement d’une cavalerie légère montée par les fameux archers, les meilleurs du monde, et d’une cavalerie lourde, bardée de fer. Il semble que celle-ci ait alors chargé les légions et ait été repoussée. Les archers à cheval attaquèrent alors en tourbillonnant à la manière des nomades de la steppe, et les légionnaires romains se trouvèrent assaillis par des nuées de flèches causant dans leurs rangs beaucoup de pertes, malgré l’expérience acquise pour y faire face.

Il vint un moment où une partie l’armée romaine afin de faire cesser les tirs des archers tenta de repousser l’ennemi, fit une sortie et après l’avoir poursuivi se trouva en terrain découvert sans pouvoir se protéger de la contre-attaque de la cavalerie lourde Parthe, les Cataphractes.

La défaite et la mort de Crassus

Le fils de Crassus, Pontius, fut tué dans la bataille, sa tête et sa main droite fichées sur des piques exposées face au camp romain. Les Romains se trouvèrent encerclés et chargés par la cavalerie lourde de leurs adversaires.

Ce fut alors la débandade dans l’armée romaine et les auxiliaires arabes conduits par le roi Abgar changèrent de camp comme ils ont l’habitude le faire, au profit du vainqueur. Ceux qui s’enfuirent furent pour la plupart soit tués soit faits prisonniers.

Crassus, sous le choc après la fin tragique de son fils, tenta de fuir par le nord vers l’Arménie mais rejoint et encerclé il dut se rendre. Il fut tué dans des circonstances obscures. Le bruit courut plus tard que de l’or fondu lui avait été versé dans la bouche pour le gaver de ce métal dont il était si friand. Mais cela semble n’avoir été qu’une légende propagée par les juifs et les disciples de la déesse syrienne Tar’hata (Atargatis) ainsi que ceux du dieu Sin, pour situer son destin dans le cadre d’une punition divine à la suite des pillages des temples en divers lieux sacrés d’Asie dont il se rendit coupable pour financer la guerre. On dit qu’il fit ainsi main basse sur près de 150 tonnes d’or rien qu’à Jérusalem.

Quelques notables romains réussirent à s’enfuir, dont Cassius, celui qui allait quelques années plus tard participer au complot contre Jules César et à son assassinat.

Quoi qu’il en soit, la défaite et la mort de Crassus furent expliquées à Rome par le fait qu’il avait ignoré les mauvais présages et qu’il n’avait pas voulu écouter les augures qui lui avaient déconseillé la guerre. Le plus grave est que les enseignes des légions romaines vaincues furent prises et consacrées par les Parthes. Cela fut jugé comme une atteinte intolérable à l’honneur et au prestige de Rome et donna naissance à un puissant mouvement d’opinion belliciste réclamant une revanche. Jules César fut assassiné alors qu’il préparait une guerre de conquête de l’Iran et de l’Asie Centrale, et Marc Antoine fut incapable d’obtenir un succès significatif sur l’Euphrate avant de disparaître happé par la guerre civile. Auguste qui devint empereur hérita du problème mais, ayant conscience de la vanité du recours à la force contre un adversaire insaisissable prompt à disparaître dans des espaces immenses et désertiques, recourut à des moyens diplomatiques, autant pour faire cesser la propagande Parthe appelant les cités grecques à se libérer de la domination romaine que pour faire libérer les prisonniers romains et récupérer les enseignes des légions, moyennant paiement d’une rançon conséquente. Malgré le caractère humiliant de l’échange, cela fut considéré par la propagande impériale comme une grande réalisation et un rétablissement de l’honneur perdu.

Plus d’un siècle plus tard, sous l’empereur Hadrien, Rome allait conquérir la Mésopotamie pour aussitôt l’évacuer et l’abandonner. Les Romains comprendraient qu’ils n’auraient aucun bénéfice à dépasser la frontière constituée à l’Est par l’Euphrate et le désert syrien et que leur rêve de réunifier sous leur autorité les royaumes gréco-macédoniens s’étendant jusqu’à l’Afghanistan et le Punjab ne se réaliserait pas. Mais cet épisode ne serait pourtant pas oublié de l’Histoire.

Netanyahu, le nouveau Crassus

En 2003, après la conquête de l’Irak et les immenses difficultés rencontrées par les Américains, George Bush fut taxé de nouveau Crassus, autrement dit d’aventurier engageant les armées de son pays dans une aventure incertaine pour des motifs personnels.

Actuellement le nouveau personnage qui semble le mieux répondre à ce profil est le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu empêtré dans une guerre sans issue dans l’espoir d’échapper aux procès pour favoritisme et corruption qui le guettent, allant même jusqu’à tenter d’y impliquer l’Iran.

On mesure ainsi combien l’influence de l’histoire romaine demeure puissante dans le monde moderne quand des responsables corrompus, avides, arrogants, autant que le furent les nobles et les sénateurs romains, peuvent recourir aux mêmes moyens faits de guerres et de massacres, au nom des mêmes principes du prestige et de l’honneur.      

* Médecin de libre pratique.

‘‘Carrhes 9 juin 53 avant J.- C. Anatomie d’une défaite’’, de Giusto Traina, éd. Les Belles Lettres, Paris, 15 septembre 2011, 258 pages.  

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