‘‘Africa quasi Roma’’: Quand les Berbères en perdaient leur latin

L’âme historique berbère, si tant est qu’il puisse en exister une, dont se réclament certains Maghrébins, y compris Tunisiens, on peut la caractériser par la frustration et le sentiment d’injustice, issus d’ambitions politiques légitimes (nationales?) jamais réalisées sous les Puniques ou les Romains. Et en dépit de l’antagonisme arabo-berbère, qui s’était exacerbé en Andalousie, c’est pourtant bien sous l’égide musulmane que l’expression politique des aspirations berbères s’est parachevée, en particulier avec les empires Almoravide et Almohade. (Illustration : Saint-Augustin par Philippe de Champagne, détail).

Par Dr Mounir Hanablia *

Après mille ans de présence, il ne reste plus rien de la présence romaine en Afrique, si ce n’est des ruines, celles-là même d’ailleurs que l’on retrouve en France, en Grande-Bretagne, en Espagne, et naturellement, en Italie et dans les Balkans.

Le forum, le capitole, les thermes, le théâtre, les castellum et les remparts… Rome a reproduit à l’infini son modèle partout où elle dominait, et dont l’armée, les institutions politiques, la cité, la religion, la hiérarchie sociale, l’exploitation agricole et le contrôle des communications terrestres et maritimes assuraient la pérennisation.

Certes ! Mais qu’y a t il eu de spécifiquement autochtone dans cette latinité imposée aux peuples qui habitaient la rive sud de la Méditerranée depuis la cyrénaïque jusqu’à la Tingitane?

L’enjeu de la romanisation

L’occupation romaine y avait débuté par un génocide de proportion colossale, la destruction totale de Carthage et le massacre de sa population, un acte d’autant plus odieux qu’il fut prémédité par le Sénat romain.

La culture punique a survécu semble-t-il dans les villes qui s’étaient ralliées aux envahisseurs pour éviter la destruction, jusque dans les bourgs reculés et les campagnes de Numidie et de Maurétanie.

Le fond culturel profond punique ne fut donc pas entamé et persista après l’adoption du christianisme par l’empire, ce que reconnaît Saint Augustin (Augustin d’Hippone). Simplement il ne trouva plus d’expression dans la sphère publique, mis à part les pratiques funéraires et quelques inscriptions épigraphiques.

Tout cela a donné lieu à une société dont les élites locales, les notables, jouaient par obligation et intérêt, d’autres diront duplicité, le jeu de la romanisation, tout en réservant l’expression de leur culture profonde à leur domaine intime. Mais en quoi la culture punique, elle-même importée, pouvait-elle intégrer l’âme berbère, au point d’en constituer une référence identitaire, même de substitution, face à la latinité triomphante?

En fait, les institutions romaines n’ont fait bien souvent que reproduire en les faisant évoluer celles préexistantes, et mis à part l’institutionnalisation de la langue il n’y eut donc pas de véritable rupture entre la cité punique et la latine.

D’autre part, l’âme punique sémitique trouva dans le culte du Saturne africain la substitution qui satisfaisait sa fascination révérencieuse du sacré. Mais qu’en a-t-il été de l’autochtone véritable, celui que l’on nomme Libyen ou Berbère, dans tout cela?

L’âme historique berbère

Doublement aliéné et dénué d’expression littéraire, l’autochtone ne pouvait qu’adopter les langages, les organisations et les cultures conquérantes, ou bien les dominantes comme le grec, langue des échanges internationaux parlée à la cour de Cirta, et pour préserver son âme un hénothéisme dénué de spéculation philosophique lui laissant toute latitude d’observer et de s’adapter.

Ainsi l’histoire de la latinité fut-elle celle des colons de l’empire et de ceux parmi les autochtones qui réussirent à s’insérer dans l’ordre établi et qui finirent parfois par se révolter.

Pourquoi en fin de compte, la latinité a-t-elle fini par disparaître en Afrique du Nord?

En Europe, les peuples germaniques conquérants, les Wisigoths, les Francs, les Lombards et les Saxons, n’ont eu d’autre opportunité que de reproduire le modèle politique des Romains dans la recherche d’une légitimité, avec la collaboration décisive de l’église romaine catholique. Les royaumes ainsi créés, embryons des futurs Etats nationaux, ont diffusé directement par le langage, ou indirectement par le christianisme, la culture latine.

En Afrique, la seule tentative d’instaurer un royaume germanique, celle des Vandales, a fini par échouer, parce qu’ils n’avaient pas réussi à y intégrer les chefs berbères, sans lesquels toute domination n’aurait été qu’illusoire.

Mis à part le siècle et demi qui suivit la conquête, Rome puis Byzance ne permirent pas l’instauration d’Etats Garamante, Gétule, ou Musulame, parce que le blé et l’huile africains représentaient un enjeu économique trop important pour être laissés à la discrétion d’Etats alliés ou clients. C’était bien mal récompenser des alliés qui avaient activement participé aux guerres civiles que Rome avait menées sur leur propre territoire au prix de multiples dévastations.

On peut caractériser l’âme historique berbère si tant est qu’il puisse en exister une, par la frustration et le sentiment d’injustice, issus d’ambitions politiques légitimes (nationales?) jamais réalisées sous les Puniques ou les Romains. Et en dépit de l’antagonisme arabo-berbère qui s’était exacerbé en Andalousie, c’est pourtant bien sous l’égide musulmane que l’expression politique des aspirations berbères s’est parachevée, en particulier avec les empires Almoravide et Almohade. Ceux qui se trouvent aujourd’hui dans l’opportunité de brandir une identité politique berbère de substitution feraient bien de s’en souvenir.

Il reste la survivance de l’être punique latin, prétentieux, avide d’honneurs, prêt à tous les compromis, sinon les compromissions, pour réaliser ses objectifs. Il a eu beau être chrétien, il n’en est pas moins devenu schismatique en étant donatiste, et même terroriste avec les circoncellions.

L’obligation d’obéir

Néanmoins, c’est bien Augustin d’Hippone, le roi du compromis, encore lui, qui fort des épîtres de Paul de Tarse, a fait obligation à l’esclave d’obéir à son maître et a rendu licite la participation au culte (désormais civil) de César dès lors que celui-ci fût devenu chrétien.

Aujourd’hui, le peuple, le nôtre, préfère un système autoritaire à une démocratie de notables, et si ces derniers font étalage de richesse dans un océan de misère, et jouent quelquefois les évergètes afin de masquer des ambitions politiques (Qalb Tounès), si le plus grand nombre de terroristes contemporains proviennent de nos contrées, cela a aussi pour origine l’esprit collectif qui depuis les âges les plus reculés, et bien avant l’arrivée de l’islam, se manifeste dans notre façon d’être qui nous avait valu d’être taxés de perfidie par nos tourmenteurs. 

* Médecin de libre pratique.

‘‘Africa, quasi Roma : 256 av. J.-C.-711 apr. J.-C.’’, de Jean-Marie Lassere, éditions CNRS, Paris 2015, 786 Pages.

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