Les accords de plusieurs milliards d’euros que l’Union européenne (UE) a signés avec les pays voisins pour réduire l’immigration irrégulière doivent être «révisés», a déclaré Nicolas Schmit, l’actuel commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, et candidat tête de liste des socialistes européens pour les élections de juin.
Isabel Marques da Silva & Jorge Liboreiro
«Je suis assez réticent à l’égard de ces accords qui doivent encore prouver leur efficacité. Nous dépensons actuellement d’énormes sommes d’argent, en donnant cet argent à différents régimes ou gouvernements comme le gouvernement tunisien. Nous savons que les autorités là-bas traitent vraiment très mal les réfugiés», a déclaré Schmit dans une interview exclusive à Euronews réalisée mardi dernier.
«Nous avons toujours un problème en Libye, où il y a deux gouvernements. Nous avons un problème en Egypte. Je suis donc assez réticent à ce genre d’accords», a-t-il poursuivi.
«Je pense que nous devons les réviser [ces accords] et voir ce qui peut être fait, comment pouvons-nous le faire différemment parce que nous ne savons pas exactement comment l’argent est utilisé», a ajouté le responsable européen.
Avec cette déclaration, Schmit, rompt ouvertement les rangs avec sa patronne, la présidente Ursula von der Leyen, qui, au cours de l’année écoulée, a promu la politique de signature d’accords avec les pays voisins, comme la Tunisie, la Mauritanie et l’Égypte, dans le but de stimuler leurs économies fragiles et de réduire les départs des migrants irrégulières.
La stratégie, qui prévoit des millions de fonds européens et des projets d’investissement pour les pays bénéficiaires, bénéficie d’un large soutien à tous les niveaux, notamment de la part de l’Italienne Giorgia Meloni, du Grec Kyriakos Mitsotakis, du Belge Alexander De Croo et de l’Espagnol Pedro Sánchez.
Des accords mal conçus
Mais ces accords, souvent qualifiés de «protocoles d’accord», ont été vivement critiqués par les ONG humanitaires et les spécialistes de la migration, qui estiment qu’ils sont mal conçus, manquent de transparence et reposent sur un vote de confiance envers des gouvernements autocratiques. Les informations largement répandues faisant état de violations des droits humains en Tunisie et en Égypte jettent une ombre sur leur légitimité éthique.
Le dernier chapitre de cette politique est celui du Liban, où la semaine dernière von der Leyen a annoncé un programme d’aide d’un milliard d’euros pour soulager les difficultés financières du pays en crise et empêcher une vague de réfugiés se dirigeant vers Chypre. L’enveloppe, entièrement constituée de subventions, sera déployée progressivement jusqu’en 2027.
«J’ai entendu dire qu’il y avait eu un accord avec le Liban pour éloigner les Syriens de l’Europe, mis personne ne sait exactement comment l’argent annoncé sera dépensé au Liban, compte tenu de la situation du gouvernement libanais, qui est, d’une certaine manière, un gouvernement très faible», a déclaré Schmit.
Externaliser le traitement des candidatures
Lors de son entretien avec Euronews, le Luxembourgeois de 70 ans a fustigé le soi-disant «modèle rwandais», que le Royaume-Uni a mis en place pour transporter les migrants par avion vers ce pays africain et traiter leurs demandes d’asile sur place. Surtout, si les demandes sont approuvées, les réfugiés se verront accorder l’asile au Rwanda plutôt que sur le sol britannique.
Dans son manifeste, le Parti populaire européen (PPE), de centre-droit, évoque un vague projet similaire au «modèle rwandais» visant à externaliser partiellement le traitement des candidatures. Von der Leyen, la tête de liste du PPE, a nié cette comparaison et a insisté sur le fait que tout projet serait compatible avec le droit international.
« Je suis absolument contre ce que nous appelons le ‘‘modèle rwandais’’. Cela va à l’encontre des droits fondamentaux sur lesquels l’Europe est bâtie», a déclaré Schmit. Et d’ajouter : «Le simple fait de déléguer le traitement des réfugiés au Rwanda ou à qui que ce soit est une question de non-respect de la dignité humaine.»
Compte tenu de leur lieu de travail commun – la Commission européenne – mais d’affiliations politiques opposées, Schmit et von der Leyen se retrouvent dans une position particulière alors qu’ils font campagne en tant que Spitzenkandidaten du PSE et du PPE, respectivement.
Von der Leyen est cependant incontestablement en tête du classement grâce à ses liens étroits avec les dirigeants européens et aux sondages favorables de son parti, qui devrait largement rester la force la plus importante au Parlement européen après les élections de juin.
Extraits traduits de l’anglais.
Source : Euronews.