Le poème du dimanche : ‘‘Ultravocal (spirale)’’ de Frankétienne

Poète, dramaturge, peintre, chanteur, enseignant, Frankétienne est une voix majeure de la littérature haïtienne.

Né en 1926 à Ravine-Seiche, en Haïti, l’écriture de Frankétienne, au sein du mouvement «spiraliste» mêle narration, description, monologue, rumeur de voix, cri, chœur, invocation, propos oniriques, mais tout mène à la poésie dans un mouvement torrentiel, retourné sur lui-même, sans linéarité, au centre, le chant de l’île meurtrie, la révolte douloureuse.

Tahar Bekri

La mer s’est retirée

il n’y a qu’un miroitement de sel

ossifiant les paupières

et la voix s’égare

dans la cécité des mots.

Par mes doigts tâtonnants

je cherche en titubant

mes titres de gloire

sur le sable noir.

ô désert mon enfer

tout le silence des pierres

pour un seul mot

et une goutte d’eau.

Clé corne

langue de chat

la serrure tousse

les nuages basculent à l’horizon

virage des voix de foudre

et toute la forêt sensible aux informations du vent

nous écoutons méditatifs

par-dessus nos toits enténébrés

la folie des villes coiffées de pluie.

Roule la mer

le roulis de l’ombre

houle des désirs rechargeant le balancier du sexe

la promesse des corps noués dans la nuit

nous nous souvenons encore la lecture amère pratiquée

sous les reflets des astres

exorcisant le lait bleu de nos blessures.

‘‘Ultravocal’’, Port-au-Prince, Haïti, 1972.

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