Le poème du dimanche : «Terre» de Jean Métellus

Né en 1937, à Jacmel, à Haïti, qu’il quitte sous la dictature des Duvalier, en 1959, pour s’installer en France, où il poursuit des études de médecine et devient neurologue, spécialiste des problèmes du langage, Jean Métellus est poète, romancier, dramaturge, essayiste. C’est une grande voix engagée d’Haïti qu’il appelle fille aînée des Antilles.

En cela, il est en rupture avec la conception qui veut rattacher Haïti aux Caraïbes, vision dans laquelle il voit un projet de lutte contre la francophonie dans la région. Son œuvre est couronnée de nombreux prix littéraires.

Il décède dans la région parisienne, en 2014.

Quelques recueils : Au pipirite chantant, Ed. Maurice Nadeau, 1978; La peau, Ed. Seghers, 2006; Visages de femmes, Ed. Le temps des cerises, 2008; Rhapsode pour Hispanoia, Ed. Bruno Doucey, 2015.

Tahar Bekri

Je suis le seul rivage de la mémoire des Antilles

Et la joue savoureuse qui répand et accueille les parfums

Je suis la lèvre généreuse de l’enfance

Haïti, Quisqueya, Bohio,

Terre hospitalière et fraîche

J’ai voulu t’enserrer vivante dans mes bras,

Dresser pour toi un monument fait d’orgues et de flûtes,

Te peupler d’encens et de fêtes,

Rajeunir tes arrières-saisons,

Décorer les voltiges de tes maisons

Fille aînée des Antilles,

Tu as vu mourir tes enfants

Tu as bu le sang des orages

Comme le papier l’encre de ma plume

Comme la terre les sueurs de la mère

Comme l’occupant le suc de ton lait

Comme l’incendie l’or d’une saison

Comme un glaive l’histoire d’une vie

Sais-tu le nom de ces piérides qui ont dégarni tes vergers ?

Et l’origine de cette écume qui flotte comme la bave du crapaud

Sur ton corps flétri, lacéré jusqu’aux lisières des cheveux

Je ne vois plus tes yeux coruscants qui cramponnaient parfum, bonheur

Et soumettaient le serpent

Pourtant tu manges de la cannelle, la carpelle avec ses akènes

Bois-tu l’œuf cru avec passion

Et manges-tu la chair des gousses d’ail

Le grand plaisir de tes entrailles et les murailles de ta beauté

Et que fais-tu de la citronnelle qui chasse le sort des mauvais esprits

Au pipirite* chantant, Ed. Maurice Nadeau, 1978.

* Le premier oiseau à chanter le matin à Haïti.

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