De la France à l’Amérique, quand l’extrême droite devient conservatisme politique!

À l’heure où les partis d’extrême droite semblent vivre leur heure de gloire en Occident aussi bien en Europe qu’en Amérique, il semble que ces partis et leurs dirigeants veulent également redéfinir le conservatisme politique et souhaitent se présenter désormais comme la droite et non plus l’extrême droite. De la France où le Rassemblement national (RN) est plus que jamais aux portes du pouvoir, à l’Italie où il l’exerce déjà et en Amérique où l’expérience Trump a laissé un goût amer, un décryptage de la situation s’impose. 

Imed Bahri

Le journal britannique Financial Times a publié une analyse dans laquelle son éditorialiste en politique internationale Gideon Rachman traite de la montée de l’extrême droite de la France à l’Amérique. Il écrit: «L’extrême droite en France veut désormais être définie comme la droite.» Peut-être l’observateur comprend-il cette logique puisque le RN est en tête dans les sondages en France à l’approche des législatives anticipées alors que la droite traditionnelle y est en déclin.

Si le RN devient le plus grand bloc à l’Assemblée nationale française après les élections de juillet, le parti aura redéfini le concept du conservatisme français. Reste la question de savoir ce qu’implique la redéfinition de la marque d’extrême droite en la présentant comme la seule droite et quelles répercussions cela aura en dehors de la France.

L’auteur voit une similitude entre le cas français et celui des États-Unis où Donald Trump a transformé le Parti républicain et l’a façonné à son image, de sorte qu’il n’est plus le parti traditionnel qui soutenait le marché comme il l’était à l’époque de George W. Bush. Le mouvement de Trump «America First» domine désormais le courant conservateur américain.

Quelle différence entre la droite et l’extrême droite?

Un débat parallèle est actuellement en cours en Italie et en Grande-Bretagne. Est-il raisonnable de continuer à considérer la Première ministre italienne Giorgia Meloni comme le leader de l’extrême droite? Alors que le Parti de la réforme dirigé par Nigel Farage devance le Parti conservateur britannique, on parle d’une phase post-électorale au cours de laquelle Farage et ses idées domineront le Parti conservateur.

L’auteur s’interroge sur ce qui subsiste comme différence entre la droite et l’extrême droite? Il répond que la principale ligne de division entre eux réside dans leur attitude envers la démocratie. Si un leader politique rejette les résultats des élections et veut écraser «l’État profond» (en fait, l’État lui-même), il ou elle sera d’extrême droite. Mais lorsque le parti défend une politique libérale désagréable, réactionnaire, voire raciste mais qui reste dans le cadre de la politique démocratique et de l’État de droit, le terme d’«extrême droite» ne s’applique pas dans ce cas et ne sera pas approprié.

Rachman dit que les idéologies et les mouvements politiques évoluent. Certaines de ces forces montantes sont simplement le nouveau visage de la politique d’extrême droite tout comme le politicien britannique Sir Robert Peel a introduit le concept de conservatisme en Grande-Bretagne au XIXe siècle ou ce que Barry Goldwater et Ronald Reagan ont fait pour remodeler le concept de conservatisme en Amérique au XXe siècle.

Les politologues surnomment l’ensemble des politiques acceptées et représentatives du courant dominant à un certain moment la «fenêtre d’Overton» (d’après l’analyste politique américain Joseph Overton). Ce que Trump, Marine Le Pen et Farage ont fait c’est déformer cette fenêtre par laquelle des politiques autrefois considérées comme extrémistes sont devenues partie intégrante du discours dominant.

L’exemple le plus clair en est la position sur l’immigration où les variations politiques préconisées par Trump liées à «la construction du mur» sont devenues la base du débat en Occident.

La question est la suivante: Peut-on continuer à considérer ces politiques comme extrémistes alors que la majorité est d’accord avec elles? Au lieu de les qualifier d’extrémistes, le terme de populisme nationaliste pourrait leur convenir.

Trump a également poussé et paralysé les discussions sur la Russie et l’Ukraine. Ici, la frontière entre la nouvelle forme de conservatisme et la dictature d’extrême droite est devenue ambiguë. Trump, Le Pen et d’autres comme eux pourraient vouloir conclure un accord avec la Russie parce qu’ils sont isolationnistes en matière de politique étrangère et ne croient pas que soutenir l’Ukraine sert l’intérêt national. Cependant, leur adulation pour Vladimir Poutine peut être l’expression de leur admiration pour un régime dictatorial.

Trump a révélé son vrai visage en 2020 lorsqu’il a refusé de reconnaître les résultats de l’élection présidentielle et a encouragé un coup d’État se donnant une image profondément hostile à la démocratie. Des Républicains comme Marco Rubio et Mitch McConnell, qui expriment la pensée principale du parti, se sont sous-estimés et ont trahi les principes fondamentaux du parti lorsqu’ils ont approuvé les paroles de Trump.

En revanche, Meloni et Le Pen ont évolué dans la direction opposée. Meloni a montré une tendance traditionnelle au conservatisme même si la gauche italienne reste sceptique quant à ses positions et estime qu’elle a des intentions cachées. La stratégie de Le Pen au cours de la dernière décennie a été d’éloigner l’extrême droite de la diabolisation où elle était maintenue et de la rapprocher ainsi du centre. Pour y parvenir, elle a expulsé son père extrémiste du parti et a récemment rompu ses liens avec le parti extrémiste Alternative pour l’Allemagne.

Le respect de la démocratie et de l’État de droit

Cela signifie-t-il que nous devrions nous sentir à l’aise si le RN partage le pouvoir lors des élections de juillet? Certaines des politiques de Le Pen liées à l’Europe, comme de faire prévaloir le droit français sur le droit européen et d’interdire des paiements de la France à l’Union européenne (UE), pourraient conduire à des troubles qui menaceraient la survie de l’UE elle-même.

Toutefois, de telles politiques peuvent être menées dans un cadre démocratique. Le véritable danger est que le RN profite du climat de crise et exige des pouvoirs d’urgence franchissant ainsi la ligne vers la dictature.

Il y a des gens dans l’orbite de l’extrême droite française qui ont été attirés par des idées antidémocratiques. Ainsi, le débat sur le critère qui sépare la droite de l’extrême droite à savoir le respect de la démocratie peut sembler donner la priorité à la forme plutôt qu’au contenu.

Beaucoup pensent que ce qui est rejeté par des politiciens comme Trump et Le Pen est lié aux questions qu’ils défendent de l’immigration aux droits des femmes. Tant que les institutions démocratiques survivent, il y a une chance que les électeurs rejettent ces politiques. Aux États-Unis, l’électeur américain a privé Trump d’un second mandat et le parti Droit et Justice en Pologne a perdu le pouvoir l’année dernière.

En fin de compte, le respect de la démocratie et de l’État de droit reste le Rubicon qui sépare la droite conservatrice de l’extrême droite dictatoriale.

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