Hommage aux cardiologues angioplasticiens pour la dextérité avec laquelle tous les jours ils manœuvrent pour éviter les écueils. La stratégie de la survie est devenue chez eux une seconde nature dont on imagine que même les patients puissent bénéficier.
Dr Mounir Hanablia *
En matière d’angioplastie, le praticien qui prétend ne jamais avoir eu de problèmes est un plaisantin; tout comme est cachottier celui qui affirme avoir toujours posé de bonnes indications. De mauvaises indications, nul n’y a échappé, par manque de vigilance sous le coup de la fatigue, ou des soucis qu’un médecin traîne comme tout être humain, et que, au moment d’opérer, il doit mettre de côté afin de sauvegarder la vie qui lui a été confiée, ou de l’excès de confiance, si fréquent malheureusement quand on tient la vie du malade au bout du cathéter guide d’angioplastie.
J’ai le souvenir d’un vieux patient qui avait fait un infarctus antérieur thrombolysé et qui est mort subitement le lendemain d’une procédure parfaitement réussie sur l’Inter Ventriculaire Antérieure. Il avait une sténose du tronc commun ostial de la coronaire gauche qui ne faisait pas plus de 50% et dont on n’avait pas tenu compte dans l’indication thérapeutique.
En ce temps là, il y a plus de 20 ans, l’angioplastie du tronc commun était un anathème, une interdiction formelle, la chirurgie était le gold standard, et c’est même pour cela qu’un collègue d’un naturel téméraire, particulièrement pour les malades qui n’étaient pas les siens, avait proposé de dilater cette sténose interdite, et il avait naturellement essuyé un refus.
Ambiance à couteaux tirés
Aurait-il fallu changer l’indication au profit de la chirurgie? Cela aurait nécessité l’arrêt de certains médicaments pendant une semaine, et le patient aurait donc été exposé à un autre risque non maîtrisé, celui du temps.
Après le décès, et l’ambiance à couteaux tirés qui règne au sein de la profession aidant, le médecin traitant m’en avait tenu rigueur, alors que rien ne prouvait que le décès eût été en rapport avec l’acte.
Pourtant, une angioplastie réussie ne garantit nullement la survie d’un patient, particulièrement dans un contexte d’infarctus du myocarde antérieur chez un sujet âgé, toujours soumis à un risque de récidive, ou d’altérations de la microcirculation. Parfois c’est le retour du flux sanguin lui-même dans le muscle nécrosé qui est délétère (15% des cas).
D’autre part, il y a la hiérarchie intrinsèque à la profession, autrement dit les collègues dont l’avis pèse et dont les mauvais résultats passent par pertes et profits parce qu’ils occupent souvent une place éminente dans la hiérarchie académique ou administrative, qui leur permet de disposer des protections politiques nécessaires, et il y a les autres, tous ceux dont la réputation est tributaire des relations entretenues avec le milieu intra ou extra professionnel, et qui leur permet de survivre le cas échéant au lynchage consécutif à l’échec d’une procédure, comme par exemple quand un patient admis sous une fausse identité décède sur la table.
Toujours est-il que, la confiance cessant de régner, il est de règle que le médecin traitant et le praticien finissent par s’ignorer, parce que c’est tout simplement l’attitude la moins problématique, au moins pendant un certain temps.
Concernant le médecin traitant en question, je l’avais croisé plusieurs années plus tard, lors de l’affaire des stents périmés me semble-t-il ou un peu avant, dans le couloir d’un établissement, discutant avec le directeur médical. Mon habitude étant de ne pas m’immiscer incongrument dans les conversations, j’ai poursuivi mon chemin. J’ai eu la surprise de voir ce collègue quelques minutes plus tard venir me faire le reproche de ne pas l’avoir salué en passant, et affirmant, malgré mes explications, qu’il était l’ami de tout le monde, et qu’il ne faisait partie d’aucun clan, dans une scène étrange rappelant par certains côtés celle qui avait réuni Raymond Domenech et Carlos Alberto Parreira lors de la Coupe du monde en 2006 en Afrique du Sud.
Une mémoire courte
Une dizaine d’années plus tard, j’ai revu ce collègue hier dans un nouvel établissement de la banlieue sud. La surveillante du service m’avait demandé si je le connaissais et si je ne voulais pas le saluer. C’est ce que j’ai fait, et naturellement j’ai précisé dans quelles circonstances burlesques nous nous étions vus la dernière fois, celles des reproches frisant la leçon de morale. A mon grand étonnement et contre toute attente, il a nié la réalité des faits. Afin de couper court à ce qui menaçait de devenir un dialogue de sourds, j’ai dit en le quittant qu’il avait visiblement la mémoire plus courte que la mienne.
Dans notre pays, quand une personne décide de nier, le mieux est de ne pas insister parce que cela ne mène nulle part. Il est commun que les gens nient l’évidence même devant les représentants de la Loi qui ont appris à s’en accommoder.
Pourquoi ce collègue a-t-il nié ainsi? Pourquoi est-il passé de la confrontation à l’évitement? Je n’en sais rien, peut-être dans un souci d’éviter des problèmes éventuels avec celui qui est devenu ultérieurement un dangereux fauteur de troubles.
Mes chers collègues, je vous rends hommage pour la dextérité avec laquelle tous les jours vous manœuvrez pour éviter les écueils. La stratégie de la survie est devenue chez vous une seconde nature dont j’imagine que même les patients puissent bénéficier. Confraternellement!
* Médecin de libre pratique.