Lors de la récente visite du président de la république Kaïs Saïed à des barrages situés au nord et au centre de la Tunisie, un problème structurel n’a pas été évoqué et qui contribue à l’aggravation du stress hydrique dont souffre notre pays : l’envasement des barrages, qui n’a rien à voir avec les lobbys de corruption cherchant à assoiffer le peuple. (Illustration: barrage Bouhertma).
Ce problème a été évoqué par le très officiel Observatoire national de l’agriculture (Onagri), relevant du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la pêche, dans une note de veille publiée le 12 août 2021, que nous reproduisons ci-dessous, et qui alertait que le taux d’envasement moyen était à l’époque de 23% et que, si rien n’était fait pour remédier à la situation, «les barrages de Mellègue et de R’mil seront totalement envasés en 2035 et celui de Siliana en 2047».
Au lieu de faire des ronds dans l’eau, les autorités seraient bien inspirées de nous informer sur la situation réelle des barrages et des réseaux de distribution de l’eau dans notre pays, dont les carences et les dysfonctionnements sont criardes et connues de tous les experts.
I.B.
Note de veille de l’Onagri d’août 2021
L’envasement des barrages est l’un des problèmes préoccupant dans la mobilisation des ressources en eaux en Tunisie. A la date du 12 aout 2021, l’envasement des grands barrages (36) est estimé à 675 millions m3 sur une capacité initiale de 2988 millions m3, soit un taux d’envasement moyen de 23%.
L’évolution de l’envasement des retenues des barrages en Tunisie est étudiée à travers deux indicateurs : le taux d’envasement et la quantité correspondante de sédiments par ha de bassin versant (érosion).
Le tableau 1 présente les barrages ayant un taux d’envasement des retenues supérieur ou égal à 25%, parmi lesquels, trois barrages présentent un taux d’envasement supérieur à 50%, il s’agit de Mellègue, Siliana et Rmil, pourtant, un seul de ces trois barrages a atteint une durée de vie de 50 ans, les deux autres ont respectivement des durées de vie de 34 ans et de 19 ans. Ces barrages sont situés dans des régions qui sont pour la plupart pauvres en ressources en eaux.
En considérant les mêmes conditions climatiques actuelles et sans aucune intervention visant la réduction de la sédimentation, les barrages de Mellègue et de R’mil seront totalement envasés en 2035 et celui de Siliana en 2047.
Pour remédier à cette réduction des ressources en eaux de surface, il convient de signaler la construction du barrage Mellègue 2 en cours et que sa réalisation prendra fin normalement en 2022*.
Ce nouveau barrage supérieur de Mellègue vise à préserver la ville de Jendouba contre les inondations et à favoriser la création de nouvelles zones d’irrigation. Sa construction s’inscrit dans le cadre des projets du ministère de l’Agriculture consistant à réaliser quatre barrages, dans les prochaines années, moyennant une enveloppe de 935,8 millions de dinars. Il s’agit des barrages de Douimis à Bizerte, Saïda à La Manouba, El-Kalâa à Sousse et Mellègue supérieur au Kef. Il est à signaler aussi des opérations de rehaussement des digues pour certains barrages.
Tableau 1 : Liste des huit barrages les plus envasés (taux d’envasement des retenues égal à 25% ou plus)
Alors que le premier indicateur exprime une situation d’alerte sur la mobilisation des ressources en eaux de surface afin de prendre les décisions nécessaires pour assurer la durabilité de ces ressources, l’indicateur d’érosion exprime l’urgence d’intervenir pour la fixation des sols à travers la protection des eaux et des sols et les plantations forestières.
En effet, en divisant la quantité de sédiments par la surface du bassin versant, la quantité de vases obtenu dépasse le seuil de 10 m3/ ha /an et ceci dans les barrages suivants : Barbara (441 m3/ha/an), Kasseb (13 m3/ha/an), Ghezala (13,1 m3/ha/an), Lebna (12,6 m3/ha/an) et Siliana (11,4 m3/ha/an) (cf. Tableau 2).
Sachant qu’une partie seulement des sols érodés atteignent les retenus de barrages, le niveau d’érosion dans ces bassins versants est beaucoup plus élevé.
Les investissements publics pour le développement forestier et l’aménagement des terres agricoles a atteint 111,5 millions de dinars en 2020 (MARHP/DGEDA).
Tableau 2 : Liste des cinq bassins versants les plus érodés (niveau d’érosion supérieur à 10 m3/ha/an)
Enfin, il convient de noter que ces deux indicateurs sont des indicateurs parmi d’autres pour développer les priorités d’intervention. Nous pouvons citer les apports en eau par barrage, les besoins en eaux par région, la qualité des eaux, la contribution à la protection des villes contre les inondations, le coût d’intervention, etc. En effet, pour les barrages Mellègue, Siliana, Lakhmes, Rmil et Chiba, les apports moyens en eaux sur la période (du 1/9 au 11/8) dépasse la capacité utile actuelle.
Ndlr : en janvier 2023, l’état d’avancement de la construction de ce barrage était estimé à seulement 60%.