«Il faut attendre d’avoir traversé la rivière avant de dire que le crocodile a une sale gueule», dit un proverbe africain. La Tunisienne Donia Gueni en a eu la douloureuse illustration à son corps défendant lors d’un séjour en Algérie «couronné» par la condamnation à un an de prison.
Dr Mounir Hanablia *
C’est déjà bien malheureux qu’une citoyenne tunisienne en voyage en Algérie subisse un harcèlement sexuel de la part de jeunes voyous. Le nombre d’étudiantes tunisiennes qui sont allées étudier en Algérie dans de bonnes conditions se compte par milliers, et on ne remettra nullement en question le sens de l’hospitalité bien connu de nos voisins. Madame Donia Gueni est donc allée se plaindre dans un poste de police mais on n’a pas donné suite à sa requête.
Ce n’est pas la première fois qu’un plaignant est éconduit dans un poste de police en général fonctionnant en sous-effectif et surchargé de travail, peut-être pas de la manière la plus cavalière, même dans notre pays, où le plus souvent , seules les agressions physiques dûment constatées sont prises au sérieux.
On peut certes comprendre son ressentiment. Les choses étant ainsi, elle a jugé les faits auxquels elle a été confrontée suffisamment graves pour ne pas être passés sous silence. Tout citoyen étranger victime d’une injustice ou d’un crime doit à priori s’adresser à son consulat pour obtenir l’aide nécessaire, cela en supposant évidemment qu’elle ne faisait pas partie d’un groupe de compatriotes voyageant pour les mêmes raisons.
J’ignore si donc elle a pris contact avec le tour opérateur, l’hôtel où elle loge, ou les autorités consulaires, et dans quelles conditions. Toujours est-il que sa décision de publier immédiatement ses tribulations sur les réseaux sociaux alors qu’elle se trouvait toujours à l’étranger, a quelque chose de surréaliste. Les réseaux sociaux sont les espaces au monde les plus surveillés, où l’impression de liberté qui s’y dégage est contredite par les réalités des législations qui la répriment.
Donc Mme Gueni a choisi de dire tout ce qu’elle avait sur le cœur, pas de la manière la plus appropriée selon certains témoignages, et on peut comprendre son humiliation et son ressentiment pour tout ce qu’elle a subi, même si au final aucun dommage physique n’en a résulté. Et naturellement ses paroles ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd puisque les autorités algériennes se sont empressées de l’arrêter et de la juger pour outrage à fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, et qu’elle a écopé d’une année de prison ferme.
Mais réseaux sociaux obligent, l’affaire a pris une ampleur telle que les autorités tunisiennes sollicitées par les médias se sont senties obligées d’intervenir publiquement afin de s’engager à venir en aide à un de leurs ressortissants à l’étranger. C’est évidemment leur devoir.
Néanmoins elles auraient pu assurer qu’elles feraient le nécessaire sans plus d’autres précisions. Au lieu de cela, les auditeurs d’une chaîne de radio privée ont appris que la voie diplomatique serait sollicitée pour résoudre le problème, en dehors de la voie judiciaire. C’est une manière particulièrement maladroite de procéder.
Il y a quelques années, le président français Nicolas Sarkozy avait ouvertement tenté de faire libérer une citoyenne française condamnée dans une affaire de drogue, au Mexique, selon lui injustement. Il s’était entendu répondre que la Justice mexicaine était indépendante et que le procès avait été régulier. Cela déclencha une tempête diplomatique, et ce ne fut que quelques années plus tard, les choses s’étant calmées, qu’elle fut finalement libérée. C’est dire quand il s’agit d’interférer dans le processus judiciaire d’un autre pays, combien il faille le faire avec prudence.
Les Algériens possèdent un orgueil national chatouilleux, et par manque de discrétion, une réponse comparable risque donc de nous être opposée.
Sans avoir la prétention de me poser en donneur de leçons, il est nécessaire d’éduquer les citoyens de notre pays afin de les informer des dangers des réseaux sociaux, des règles de politesse et de courtoisie, et pour les voyageurs des meilleures manières de procéder en cas d’imprévu dans le pays de destination. Et si les voies diplomatiques sont souvent aussi impénétrables que celles du Seigneur, seule la discrétion de rigueur peut en garantir l’efficacité.
* Médecin de libre pratique.
Donnez votre avis