La seconde affaire Gueni : l’alibi  

L’intérêt bien compris de Donia Gueni n’est pas dans la surenchère politicienne et faussement nationaliste. Il exige d’abord que le verdict dont elle fait l’objet en Algérie soit ramené à ses justes proportions, afin qu’elle bénéficie PAR LES VOIES LÉGALES d’une remise de peine ou d’un acquittement qui lui permettraient de regagner son pays et de retrouver sa famille dans les délais les plus brefs.

Dr Mounir Hanablia *

Il y a eu la première affaire Gueni, qui a mis en évidence l’impréparation de beaucoup de touristes tunisiens débarquant dans des pays étrangers sans rien en connaître et incapables de résoudre les problèmes qu’ils pourraient y affronter d’une manière cohérente, respectueuse des lois en vigueur. Il n’y a en vérité pas que les touristes pour ignorer les conditions de leur pays d’accueil; les fournisseurs de produits pharmaceutiques et de stents ne font pas mieux. En 2006, 80 cardiologues tunisiens avaient bénéficié d’une prise en charge à Beyrouth et étaient rentrés par le plus grand des hasards trois jours avant le début de l’attaque israélienne et de la guerre des 33 jours. 

Il y a eu aussi les maladresses commises sur le plan médiatique par certains de ceux dont le devoir et la mission sont d’assurer aux citoyens à l’étranger l’assistance nécessaire, hypothéquant ainsi les possibilités de les sauver des situations pénibles où ils peuvent se trouver, avec le moins de dégâts possibles.

Dangereux shopping

Cela me rappelle quand d’aucuns débarquaient à Palerme dans les années 80-90 pour faire du shopping, alors que la ville était transformée en champ de bataille entre les familles de la mafia. Interrogés sur les éventuels dangers de l’entreprise, ces compatriotes, souvent des nobles dames allant constituer leur trousseau de mariage (c’était des temps prospères), répondaient que n’ayant rien à y voir, elles ne s’estimaient pas menacées. 

Il y a désormais une seconde affaire Gueni, celle dont la responsabilité n’incombe nullement à celle qui en est la victime, dont mais certains, que je suis bien obligé de qualifier d’irresponsables, tentent de tirer profit pour situer son arrestation dans le cadre de l’affrontement tout à fait chimérique avec un pays voisin, censé nous annexer et nous occuper.

Il est ici tout à fait inutile de rappeler les liens géographiques et historiques établis entre des Etats voisins unis de surcroît par la langue et la religion, puisque le terme «fraternel» est devenu pour ces mêmes personnes le symbole d’une aliénation insupportable, et même d’une trahison envers la cause nationale.

Cette mauvaise foi n’a d’égale que celle affichée par ce président [Ahmed Ben Bella, Ndlr] qui se voulait révolutionnaire et qui pour avoir passé la moitié de la guerre d’indépendance dans les geôles françaises, et l’autre moitié dans un autre pays «frère», fer de lance du panarabisme, n’en déclarait pas moins devant l’ambassadeur de Tunisie, au début des années 60 [Ahmed Mestiri, Ndlr], que seul ce pays «frère» là, chantre du panarabisme, avait aidé le sien lors de la lutte de libération nationale, et que les autres, autrement dit les voisins de l’Est et de l’Ouest, où ses combattants avaient stationné, reçu des armes et de l’argent, s’étaient ressourcés pour repartir à l’assaut, ces voisins n’étaient pour ce président là que des menteurs, en prétendant avoir aidé son pays dans sa guerre.

Une certaine forme de solidarité

Il y a beaucoup de choses qu’on peut reprocher à ses voisins, mais on ne les choisit pas, ainsi que le disait le président Bourguiba. Et même après l’attaque contre une ville d’une région minière [Gafsa, menée par un commando tunisien venu d’Algérie, Ndlr] ou bien la découverte d’un complot militaire, il convient de se rappeler qu’en 1983, lorsqu’il avait été hospitalisé et qu’il sentait que le destin de son pays pouvait avec sa propre disparition basculer dans l’inconnu, quel président d’un pays voisin [Algérie, Ndlr] était venu lui rendre visite [Chedly Bendjedid, Ndlr], et quel traité de fraternité et de concorde avait été signé, et qui à ma connaissance n’a jamais été invalidé.

Il convient de se souvenir également d’où était venue l’assistance lorsque notre pays pour différentes raisons avait eu des difficultés d’approvisionnement en énergie. Ce pays-là avait fourni une assistance substantielle en gaz au Liban, une véritable bouffée d’oxygène, lorsqu’il s’était écroulé économiquement.

D’aucuns argueront que notre pays, la Tunisie, n’a rien à y voir. Cela témoigne néanmoins sinon d’un souci d’aider les autres Etats arabes, du moins d’une volonté de les empêcher de les s’écrouler, qui même obéissant au souci de rompre la dynamique du pacte d’Abraham, n’en démontre pas moins une volonté de respecter une certaine forme de solidarité face à la prépondérance sioniste.

Il ne faut pas oublier qu’Israël encourage ouvertement la sédition berbère, parce qu’il est de son intérêt d’affaiblir les Etats arabes, dans leur intégrité territoriale, et dans leur homogénéité culturelle. Mais «fraternels» ou pas, les relations de voisinage acquièrent de toute évidence pour la Tunisie une importance fondamentale mettant en jeu ses intérêts nationaux les plus urgents. On comprend donc le souci du président Saïed de les consolider, d’autant que, on le veuille ou non, il suffit de se rendre à Sousse, même en plein mois d’Octobre, pour en réaliser l’impact économique sur le tourisme.

Le nœud du problème

On en arrive ainsi au nœud du problème. D’aucuns contestent à Kaïs Saïed la pertinence de ses choix politiques et économiques, et d’une manière plus générale sa gestion autoritaire de l’Etat. Ils ont peut-être leurs raisons. Mais lorsqu’ils en arrivent à confondre la situation politique interne de la Tunisie, dont ils désirent le changement, avec les relations extérieures du pays, ils commettent à mon avis une erreur lourde de conséquences, en enfourchant un cheval de bataille galopant vers l’inconnu, dont la première à pâtir est celle dont la condamnation, sévère ou pas, injuste ou non, sert d’alibi à l’expression d’une opposition politique interne.

Quand un tunisien est injustement emprisonné en France, parfois tué, rares sont ceux qui clament que la Tunisie ne doit pas devenir un protectorat français. Quand une Tunisienne y est violée, l’évènement est souvent carrément passé sous silence dans notre pays, seule la presse locale en fait généralement état, pour dire souvent que dans nos communautés, cela fait partie de la condition féminine, justement le même argument attribué à tort ou à raison à Mme Gueni sur ses hôtes dans les réseaux sociaux.

Quant aux remarques sur les toilettes turques, pour démontrer le caractère fruste de nos voisins, outre le caractère plus sain de ces cuvettes évitant les risques de contagion, ces remarques ne font pas avancer la cause de la détenue, loin de là. On voit donc dans quel registre les soi-disant partisans de Mme Gueni puisent, celui de l’extrême droite sioniste de Geert Wilders et Eric Zemmour. L’intérêt bien compris de Mme Gueni exige d’abord que le verdict dont elle fait l’objet soit ramené à ses justes proportions, afin qu’elle bénéficie PAR LES VOIES LÉGALES d’une remise de peine ou d’un acquittement qui lui permettraient de regagner son pays et de retrouver sa famille dans les délais les plus brefs. 

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