Lundi 14 octobre, un astre de la littérature tunisienne d’expression française s’est éteint à l’âge de 76 ans. Rafik Ben Salah a rendu l’âme à Moudon, près de Lausanne en Suisse, son pays d’adoption. Prix spécial du jury (Comar d’or en 2012 pour son roman Les Caves du minustaire (éd. L’Âge d’Homme, Lausanne, 2011.
Taoufik Ouanes *
Depuis qu’il a quitté la Tunisie à fin des années 60 pour des études en littérature, Rafik né à Moknine et descendant d’une famille patriotique à toujours vécu en portant la Tunisie dans ses trippes. Fort d’une licence de la Sorbonne et d’un diplôme en journalisme Rafik a trouvé au bord du Lac Lémam en Suisse un environnement propice pour exercer les deux activités qui lui sont les plus chères : enseigner et écrire.
Fils d’un éducateur, il a fait découvrir les délices et les subtilités de la langue et de la littérature françaises à plusieurs générations de la jeunesse suisse romande, leur propre langue et leur propre histoire.
La richesse intellectuelle et poétique de ce Maghrébin a longtemps fasciné ses élèves et leurs parents. Il leur enseignait Rousseau, Baudelaire, Sartre et également les grands ténors de la littérature suisse romande tels que Jacques Chessex, Nicolas Bouvier, Georges Haldas et bien d’autres.
Mais Rafik n’était pas seulement un professeur de littérature. Il était aussi un poète et un romancier. Après l’exultation diurne de l’enseignement, il s’adonnait à l’exaltation nocturne de l’écriture. Rafik a trouvé dans les bistrots de Moudon, ville moyenne du canton de Vaud, où il a vécu et enseigné plus de 3 décennies, les recoins discrets pour tromper son fort syndrome de solitude en rédigeant ses romans. Il les couchait sur de grands registres avec une écriture en petites lettres à peine perceptibles et seule Laurence, sa compagne de toujours, possédait la clé de déchiffrage.
D’une sensibilité écorchée à vif, Rafik Ben Salah ne pouvait extérioriser sa bi-culturalité que dans l’écriture. Il convoquait ses souvenirs et ses racines pratiquement tous les soirs dans les bistrots de Moudon où se rencontraient les habitués ouvriers, paysans, et autres résidents de cette contrée vaudoise calme et laborieuse. Plusieurs étaient parents de ses élèves. Au début, on trouvait ce professeur étranger un peu étrange. Taciturne mais courtois, il vient au bistrot pas pour boire, mais pour écrire; pas pour discuter mais pour sourire. En fin de soirée, souvent dès la fermeture du bistrot on croisait l’ombre du «Professeur» hanter les rues pour rentrer calmement chez lui, au bord de la petite rivière La Broie.
Doucement, les habitants de Moudon ont adopté Rafik. Lorsqu’il a publié son premier roman et que les médias ont commencé à parler de lui, l’indifférence et la réserve sociales ont cédé la place au respect et à l’admiration.
Le premier roman de Rafik Ben Salah, Retour d’exil (éd. Publisud, Paris, 1987), comme tous ses écrits (une bonne douzaine), relatent la dualité humaine et culturelle qu’il vivait dans cette contrée de la Suisse, très loin du fusionnement littéraire parisien dans lequel évoluaient les romanciers maghrébins et africains.
Cette double solitude à certainement beaucoup contribué à l’éclosion du style et du contenu spécifiques de ses romans. Elle a progressivement évolué en une recherche résolue et réussie d’une synthèse littéraire novatrice et créatrice. Cette synthèse s’est singulièrement illustrée dans le titre et le nom d’un de ses derniers personnages : Gailloume Ben Tell (éd. Xenia, Vevey, 2007), une délicieuse parodie du légendaire Guillaume Tell avec sa fameuse pomme, symbole légendaire des helvètes.
Rafik nous a quittés laissant derrière lui un patrimoine littéraire aussi riche qu’original.
Son souvenir et sa sensibilité resteront à jamais gravés dans les cœurs de sa compagne Laurence et ses fils Hakim et Nessim et toute sa famille en Tunisie à commencer par son frère le Doyen Hafedh Ben Salah.
Allah yarhmek cher Rafik. Repose en paix.
Ton ami de toujours…
* Avocat et ancien fonctionnaire de l’Onu.
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