Kaïs Saïed est en guerre et il ne cesse de le rappeler dans pratiquement toutes ses déclarations, avant et surtout après sa réélection pour un second mandat de cinq ans, le 6 octobre dernier. Ceux qui ont rêvé d’une phase d’«apaisement politique» en ont pour leurs frais.
Imed Bahri
Le président de la république parle d’une «guerre de libération nationale», la seconde bien sûr, puisque la première a été gagnée avec la proclamation de l’indépendance de la Tunisie, le 20 mars 1956, après 75 ans de «protectorat» français, terme juridique que Saïed préfère à celui, politique, de «colonisation».
Si elle s’est libérée de la colonisation étrangère, la Tunisie reste, en effet, aux yeux de Saïed, colonisée de l’intérieur, une «colonisation» incarnée par ce qu’il appelle les lobbys d’intérêt, les traitres à la nation, les comploteurs contre l’Etat, les corrompus et les vendus à l’étranger qui bénéficieraient de relais au sein même des structures de l’Etat. Une «colonisation» d’autant plus pernicieuse qu’au terme de son premier mandat et en ce début de second mandat, le président élu par des scores astronomiques (72% en 2019 et 92% en 2024) ne cesse de dénoncer sans parvenir vraiment à en venir à bout.
Hier, jeudi 24 octobre 2024, en présidant la réunion du conseil du gouvernement, qui a discuté de plusieurs projets d’arrêtés notamment celui relatif à la mise en place de la Société de la Cité médicale des Aghlabides à Kairouan, son statut et sa gestion administrative et financière, ainsi que d’autres grands projets publics, le chef de l’Etat a souligné la nécessité d’assurer le fonctionnement normal des services publics et de répondre à la demande des citoyens dans les meilleures conditions, tout en prenant les mesures légales contre toute personne qui y ferait obstacle, a-t-il aussi averti.
«Le peuple tunisien a pris sa décision», a lancé le président, par allusion à sa récente élection pour un second mandat, ajoutant que «quiconque n’assumera pas la totalité de sa responsabilité ou qui n’effectuera pas sa mission avec dévouement ne restera pas impuni».
«Il ne s’agit pas seulement de solutions légales, car les lois existent», a insisté le président, ajoutant que «tout responsable et tout citoyen doit rompre définitivement avec une ère qui s’est achevée et de passer à une nouvelle fondée sur une révolution culturelle, elle-même basée sur un sentiment profond et partagé selon lequel tout citoyen est capable, quelle que soit sa position, de contribuer à la guerre de libération nationale, avec un nouvel esprit et un comportement qui rompe avec le passé et ses souffrances et mette les fondements d’une nouvelle ère bénéficiant à tous et dont le bénéfice sera réparti sur toute la communauté nationale».
La «révolution culturelle», autre concept clé de sa doctrine, dont parle Saïed est, on l’a compris, incarnée par le processus politique qu’il a mis en route par la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, et dont il ne cesse de mettre en œuvre les bases juridiques, politiques, économiques, culturelles et autres. Et la «guerre de libération nationale» est menée contre ces récalcitrants qui, au sein de l’administration publique et dans la société d’une façon générale, font obstacle à ce processus.
Cette menace, souvent répétée, est d’une limpidité qui ne laisse aucune illusion sur la disposition du locataire de Carthage à ouvrir une nouvelle étape d’«apaisement politique», comme l’a promis son frère et directeur de campagne Naoufel Saïed au lendemain de l’annonce des résultats de la présidentielle et ne cessent de l’y inviter certains opposants, acteurs de la société civile et analystes politiques, estimant sans doute qu’un second mandat est habituellement propice à une telle ouverture. Pour Saïed, celle-ci n’est visiblement pas pour demain la veille.
I. B.
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