‘‘Une étrange défaite’’: la démocratie occidentale a vendu son âme aux enchères

«On changea jusqu’au sens usuel des mots par rapport aux actes dans les justifications qu’on en donnait», disait Thucydide.

Si on ne peut pas prétendre que l’armée israélienne a subi une défaite à Gaza, même si le mythe de l’inviolabilité du sanctuaire israélien n’a pas survécu face aux missiles en provenance du Yémen, la mine défaite des ministres israéliens annonçant la conclusion de l’accord avec les combattants du Hamas, les ennemis qu’ils s’étaient juré d’abattre, prouve qu’il ne s’agit pas de victoire. 

Dr Mounir Hanablia *

Un accord (provisoire) de cessez-le-feu entre les belligérants est entré en vigueur justement il y a une semaine. Il n’en rend que plus actuel ce livre. Son titre énigmatique évoque d’abord une défaite, dans une guerre asymétrique, certes, mais sans en préciser l’identité du vaincu.

Comparativement à l’ampleur des dégâts infligés, il y a une ironie amère à entendre les chantres de la Résistance parler de la victoire parce qu’ils ne se sont pas soumis à l’exigence de leurs ennemis, celles d’une reddition sans conditions.

Nul ne peut contester leur bravoure mais la réalité est là: si les Israéliens ont parlé en terme de pertes humaines par rapport à la taille de leur population, pour les Palestiniens, le ratio a été de 1700, et le nombre de pertes civiles a été 185 fois plus élevé chez les uns que chez les autres, près de la moitié des victimes ont été des femmes et des enfants, durant les six premiers mois du conflit, et deux millions de personnes aujourd’hui sont sans abri, alors que l’UNRWA dont on aurait aujourd’hui plus que jamais besoin pour secourir la population est en voie de démantèlement.

Il faudra encore plusieurs mois avant de faire le décompte final des pertes, dont une proportion indéterminée gît toujours sous les décombres. Le Hamas n’a pas baissé les armes mais les réalités sont là. Et pour y arriver il a fallu 16 mois d’une guerre incessante d’agression qui n’aurait pas été possible sans le soutien militaire et politique de l’ensemble des gouvernements occidentaux, Etats Unis en tête, avec l’accord tacite d’une bonne partie de leurs homologues arabes ou musulmans (Turquie).

La police (occidentale) de la pensée

Il a fallu que les gouvernements de ces pays censés être démocratiques sanctionnent la liberté d’expression, interdisent les manifestations de rues, contre la guerre, et répriment les intellectuels dissidents, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, assimilé avec opportunisme et mauvaise foi à l’antisionisme.

On a ainsi abouti à cette situation paradoxale où le gouvernement de droite allemand a fustigé des juifs israéliens s’opposant à la politique de leur propre gouvernement et dont parfois les parents ou les ascendants étaient morts dans les camps de concentrations nazis.

Cette police de la pensée n’a pas épargné les universités et le monde académique, censés jouir d’une immunité établie par la loi et les traditions par rapport au pouvoir politique. Et naturellement l’insistance sur l’Allemagne est significative dans le contexte parce qu’outre sa responsabilité dans la Shoah, ce pays prétend occulter un génocide, en en justifiant un autre, tout en fournissant 30% de l’aide militaire à l’agresseur.

Or l’Allemagne avait déjà en 1909 exterminé les populations de Namibie bien avant l’arrivée des Nazis au pouvoir, et depuis Angela Merkel, le soutien à l’entité sioniste est qualifié de «raison d’état».

Comment la propagande gouvernementale occidentale véhiculée par les médias est elle arrivée à «vendre» à sa population la destruction des écoles et des hôpitaux et l’assassinat ou la détention dans des conditions inhumaines des médecins, infirmiers, et journalistes?

L’auteur évoque le racisme, qui a débuté avec le 11 Septembre 2001 lorsqu’une communauté religieuse, les musulmans, a commencé à être mise au banc de l’humanité, avec subséquemment le justificatif suprême pour qualifier les guerres coloniales menées contre leurs pays en Afghanistan, Irak, et ailleurs, celui d’absence de valeurs communes au sein d’une culture valorisant la guerre et faisant peu de cas de la vie humaine. Et à cela s’ajoute la question de l’immigration, bouc émissaire commode des problèmes des pays occidentaux, le legs colonial, ainsi que l’antagonisme historique avec l’Occident dont les sources premières remontant au Moyen-âge sont issues de l’Eglise Catholique.

La valeur d’une vie musulmane ne vaut- elle plus rien ?

Si donc la valeur d’une vie musulmane ne vaut plus rien aujourd’hui dans le champ visuel médiatique qui compte, celui contrôlé par les Etats, ce n’est pas l’effet du hasard, mais celui d’un effort continu pour discréditer idéologiquement les populations cibles, qui s’est renforcé aux Etats Unis d’Amérique de l’action des lobbys sionistes la plupart du temps chrétiens, et qui a visé les Doyens des institutions universitaires les plus réputées lorsqu’il est devenu évident que les étudiants, juifs et non juifs, devenaient critiques de l’action de leur gouvernement et de son soutien au génocide.

Un génocide? Certainement ! La délégation sud-africaine a fourni à la Cour de Justice International un dossier riche dont les arguments sont étayés autant par des considérations juridiques que les témoignages issus du terrain. Et la Cour Pénale Internationale a inculpé le Premier ministre israélien Netanyahu et son ancien ministre de guerre, Galland, de crime contre l’humanité.

A l’heure des bilans, si on ne peut pas prétendre que l’armée israélienne a subi une défaite même si le mythe de l’inviolabilité du sanctuaire israélien n’a pas survécu face aux missiles en provenance du Yémen, la mine défaite des ministres israéliens annonçant la conclusion de l’accord avec les ennemis qu’ils s’étaient juré d’abattre prouve qu’il ne s’agit pas de victoire. 

Il est encore trop tôt pour connaître les raisons qui ont poussé Netanyahu à accepter  maintenant ce à quoi il s’est toujours opposé avec acharnement.

Si défaite il y a, elle ne peut que concerner la classe politique occidentale qui a allègrement démontré à sa propre opinion publique le peu de cas qu’elle fait des valeurs humaines universelles dont elle tire sa légitimité, sa fierté, et sa propension à critiquer ceux qui selon elle ne les respectent pas.     

* Médecin de libre pratique.

‘Une étrange défaite: Sur le consentement à l’écrasement de Gaza’’ de Didier Fassin,  éditions La Découverte, Paris, le 5 septembre 2024, 198 pages.

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