Dans un monde multicrises où les grandes puissances ne se font aucun cadeau et où les États-Unis semblent pâtir de certaines faiblesses, le renseignement qui jusque-là a été l’un des outils de la puissance et de la suprématie américaines se voit aujourd’hui déstabilisé par le retour au pouvoir de Donald Trump qui a ordonné des purges au sein de la communauté américaine du renseignement et une réduction des effectifs. Et comme tout cela ne suffisait pas, des informations confidentielles ont été transmises au nouveau département dirigé par Elon Musk. Des développements inquiétants qui peuvent bénéficier aux principaux adversaires de Washington en l’occurrence la Chine et la Russie.
Imed Bahri
Dans son analyse parue dans les colonnes du Washington Post, l’éditorialiste David Ignatius, spécialisé dans le renseignement, considère que la faute la plus dangereuse commise par l’administration Trump au cours des trois premières semaines de son second mandat et qui pourrait mettre les États-Unis en danger est de purger les agences de renseignement à un moment où l’administration dit à juste titre que le pays a besoin d’opérations d’espionnage plus agressives et audacieuses. Deux choses contradictoires.)
Ignatius explique que le directeur de la CIA John Ratcliffe dit vouloir davantage d’actions secrètes, aller dans des endroits où personne d’autre ne peut aller, faire des choses que personne d’autre ne peut faire. Or, qui peut le faire après la mesure imprévue visant à réduire les effectifs de l’agence?
Ignatius a noté que l’agence avait transmis des données sur les recrutements récents aux auditeurs du Département de l’efficacité gouvernementale (Doge) d’Elon Musk et peut-être à tout espion étranger capable de pirater les systèmes de la CIA. Pire encore, les collaborateurs de Musk avaient accès aux données sur les paiements du Trésor qui peuvent révéler les identités des officiers du renseignement et des agents que recrute la CIA.
L’auteur évoque ce qu’il considère comme deux défis cruciaux à l’action secrète laissés par l’administration précédente: les attaques liés au syndrome de La Havane (ce syndrome est un ensemble de symptômes éprouvés dans différents pays par des diplomates, militaires et agents des renseignements américains et désormais qualifié d’incidents sanitaires anormaux) et la menace secrète chinoise contre les systèmes de communication américains par le biais d’une attaque connue sous le nom de Salt Typhoon (Thyphon du sel).
L’éditorialiste de WP estime que les responsables de l’administration Trump avaient été informés des deux menaces par l’équipe de l’ancien président Joe Biden mais qu’aucune de ces deux questions n’avait reçu suffisamment d’attention.
Menaces pour les espions américains à l’étranger
Ignatius explique que ce qui s’est passé dans la capitale cubaine La Havane comprenait de graves blessures et symptômes auditifs ou neurologiques qui ne pouvaient être expliqués par des conditions environnementales ou médicales connues et après avoir examiné les preuves, la CIA a estimé en 2023 qu’il était hautement improbable qu’un acteur étranger ait causé les dommages avec une nouvelle arme.
Cependant, dans un ultime rebondissement, le Conseil de sécurité nationale a réagi le mois dernier pour mettre en évidence la menace notant que l’énergie électromagnétique ou acoustique pulsée reste une explication plausible dans certains cas. Le Conseil a déclaré qu’il était probable qu’une entité étrangère possède une arme à radiofréquence pulsée qui pourrait nuire aux espions et diplomates américains à l’étranger.
Le Conseil a ajouté que la Russie dispose d’un programme de recherche et développement à long terme pour développer une classe d’armes connues en Russie sous le nom d’armes à ondes et qu’en 2017, le GRU (le redoutable renseignement militaire russe) a décerné un prix à un ingénieur qui a développé une arme acoustique non létale adaptée au milieu urbain.
Ignatius indique que Russie a également mené une campagne paramilitaire secrète contre l’Otan pendant une grande partie de l’année dernière. Selon des rapports publiés, des agents russes ont saboté des installations en Pologne, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Espagne, en République tchèque et dans d’autres pays. Moscou a également envoyé des bombes qui auraient pu faire exploser des avions américains. Des avions russes ont défié aussi les forces de l’Otan depuis la France et la Roumanie.
Les capacités d’action contre la Russie et la Chine
Ignatius a par la suite évoqué ce qui est considéré comme le danger chinois. Il a évoqué le piratage chinois dévastateur des télécommunications à savoir la cyberattaque qui a compromis les commutateurs et autres composants critiques de neuf agences de télécommunications et fournisseurs de services Internet dont des géants comme Verizon, AT&T et T-Mobile et que le sénateur Mark R. Warner a qualifiée de «pire faille de télécommunications de l’histoire de notre pays». Ce piratage est «l’une des plus grandes menaces de renseignement jamais vues», a déclaré Jessica Rosenworcel, présidente de la Commission fédérale des communications.
L’éditorialiste du WP estime que la Chine semble avoir accès à l’infrastructure de communication publique américaine. En même temps, les hauts responsables gouvernementaux américains ont écouté les appels des Chinois et lu les transcriptions car la NSA (National Security Agency spécialisée dans l’espionnage des télécommunications et informatique) écoute les appels chinois; cependant la mission de la CIA est toute autre. «Dispose-t-elle des outils secrets nécessaires pour faire tomber les réseaux chinois en cas de crise comme la Chine pourrait le faire aux États-Unis?», s’est interrogé Ignatius.
En définitive, la CIA est confrontée à un défi majeur à savoir renforcer ses capacités d’action secrète contre la Russie et la Chine. Et l’administration Trump a exacerbé la possibilité que l’Amérique soit exposée à des attaques en ordonnant un gel et une réduction des effectifs des agences de renseignement au cours de ses trois premières semaines à la Maison-Blanche.
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