Kaïs Saïed et la Palestine | Un discours de courage et de lucidité

Recevant avant-hier à Carthage l’envoyé spécial du Président Trump pour le monde arabe, qui était accompagné de l’ambassadeur américain en Tunisie et de trois autres responsables de son pays, le Président Kaïs Saïed a été, comme à son habitude, très clair sur la situation dramatique qui prévaut à Gaza où les autorités israéliennes continuent de braver le droit international, fortes de l’appui inconditionnel des États-Unis et des pays occidentaux.

Raouf Chatty *

Le bilan des bombardements israéliens, depuis le déclenchement des hostilités le 7 octobre 2023, est particulièrement lourd : des dizaines de milliers de mort et des centaines de milliers blessés, sans compter les énormes dégâts matériels et les impacts durables de cette guerre sur les Palestiniens en général et les habitants de Gaza en particulier. 

Sur ce point, la position du Président Saïed est largement en avance sur celles de la quasi-totalité des dirigeants arabes, ceux qui sont directement impliqués dans le conflit et ceux qui en sont indirectement touchés. Piégés dans une position très inconfortable, ces derniers continuent de souffler le chaud et le froid, selon le contexte général dans la région et en fonction des intérêts stratégiques de leurs pays, ne craignant pas d’exposer ainsi leur impuissance au monde entier.

Les États-Unis face à leurs responsabilités

Montrant à l’envoyé spécial du Président américain des photos d’enfants gazaouis crevant de faim, Kaïs Saïed a visiblement cherché à choquer son hôte et à mettre les États-Unis face à leurs responsabilités de superpuissance prônant les droits humains et à la contradiction de leurs politiques des deux poids deux mesures.

Le Président a également mis l’accent lors de cette rencontre sur la question de la souveraineté des États, soulignant à son interlocuteur que le rejet des ingérences extérieures et le respect de la volonté des peuples sont des fondements des relations internationales. 

Si de tels propos, transmis par les médias, avec la voix du Président, confortent la position d’un large public tunisien révolté par les souffrances sans fin infligées au peuple palestinien, pour d’autres, ces propos ont une portée purement symbolique et ne feront que remuer le couteau dans la plaie. Ils n’aideront pas, en tout cas, à alléger ces souffrances. Les masses populaires y verront un acte de courage et de bravoure à mettre à l’actif du Président tunisien, au moment où plusieurs chefs d’Etat arabe n’osent même pas placer un mot devant le Président américain. Ne l’a-t-on pas vu, récemment, regarder de haut des présidents africains en visite officielle à son invitation à la Maison blanche ?

Qu’attendent exactement les Américains de Saïed ?  

Après son entretien avec le Président de la République, l’envoyé spécial du président américain s’est contenté d’une déclaration laconique et à portée générale sur son blog, sans évoquer les sujets réellement discutés au Palais de Carthage : Palestine, Gaza, droit humanitaire international, droit des peuples à l’autodétermination et, probablement aussi, la situation en Libye et son impact sur la région.

Dans ce cadre, plusieurs questions se posent… 

1- Les États-Unis connaissant très bien les positions du Président Saïed sur la question palestinienne, Gaza et sur bien d’autres sujets, comme la nouvelle politique étrangère de la Tunisie, revue et corrigée par l’actuel locataire du Palais de Carthage, quel était le but réel de cette visite, la première dans notre pays d’un haut responsable américain depuis le retour du Président Trump au pouvoir, à un moment où la Tunisie continue de se débattre dans des difficultés politiques, économiques  et sociales majeures, aggravées par la situation très instable dans toute la région Mena? En d’autres termes, qu’attendent exactement les Américains de Saïed ? Qu’il normalise les relations de la Tunisie avec Israël et rejoigne ainsi la caravane arabe des Accords d’Abraham ? Ou qu’il accepte d’accueillir en Tunisie les Palestiniens de Gaza, comme l’avait fait Habib Bourguiba de ces mêmes Palestiniens lorsqu’ils ont été chassés du Liban, en 1982 ?

Une position pour le principe et pour l’Histoire

2- Le Président Saïed, connaissant le rôle capital des États-Unis dans le monde, et pas seulement dans la région du Moyen-Orient, ainsi que les positions tranchées du Président Trump sur de nombreuses questions et notamment son soutien total et inconditionnel à Israël, pourquoi a-t-il choisi d’être aussi direct et tranchant avec le responsable américain alors que pratiquement tous les dirigeants arabes que ce dernier s’apprête à rencontrer chercheront par tous les moyens sinon à l’amadouer du moins à ne pas lui déplaire?

En tout état de cause, et quelle aient pu être les motivations du Président Saïed et l’impact espéré de ses propos sur la suite des événements à Gaza et dans la région Mena, l’histoire retiendra sa position responsable et courageuse, qui tranche clairement avec celle de la plupart des autres dirigeants arabes, qui sont décevantes, opportunistes et largement en deçà des attentes de leurs peuples. 

Cette position est venue conforter les voix libres dans le monde, même parmi les plus inconditionnels d’Israël, qui se lèvent pour réclamer avec force la fin de la guerre et la reconnaissance du droit inaliénable des Palestiniens à un État indépendant et souverain sur la base des résolutions des Nations Unies. 

Ce processus est historique et irréversible. Sans sa mise en œuvre volontaire et lucide, les Palestiniens, les Israéliens et tous les peuples de la région seront condamnés à davantage d’instabilité, de guerres, de souffrances et de désolation. 

* Ancien ambassadeur. 

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