Monia Ben Jemia | «Il n’y a plus de dialogue aujourd’hui en Tunisie»

Lors des Nouvelles Rencontres d’Averroès, vendredi 21 novembre 2025, au théâtre de La Criée, à Marseille, Monia Ben Jemia, juriste et militante tunisienne emblématique, a livré un témoignage sans concession sur la situation politique et sociale de son pays.

Djamal Guettala 

Ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD, 2016‑2018), dont les activités viennent d’être suspendues pour un mois par les autorités, et présidente de EuroMed Droits, l’activiste a souligné le rôle vital des réseaux de défenseurs des droits humains en Méditerranée pour contrer les dérives autoritaires et protéger les populations vulnérables.

Revenant sur l’histoire du féminisme en Tunisie, elle a rappelé que les avancées des femmes ont été le fruit de luttes acharnées et non d’un cadeau de l’État. Le mouvement, né dans les années 1970, s’est structuré autour d’associations autonomes et a trouvé un nouvel élan après la révolution de 2011, lorsque la société civile a pu peser sur le débat public et promouvoir des réformes législatives et sociales majeures. «Ces acquis sont le résultat de décennies de mobilisation et de courage, mais ils restent fragiles», a-t-elle souligné.

Fermeture totale de l’espace politique

Aujourd’hui, selon Monia Ben Jemia, le tableau est préoccupant. «Sous Ben Ali, il existait encore des moyens d’approcher certains ministres, de dialoguer et de trouver des solutions à des problèmes majeurs. Aujourd’hui, aucun dialogue n’est possible.»

Le pouvoir centralisé autour de Kaïs Saïed impose une fermeture totale de l’espace politique et institutionnel, plus sévère encore que sous le régime précédent. Pour elle, la rue reste désormais le seul espace de dialogue : manifester et se mobiliser collectivement sont les seules façons pour les citoyen·ne·s de se faire entendre.

Elle a également confié qu’elle ne peut plus retourner en Tunisie, risquant «le même sort» que d’autres militants, juristes ou défenseurs des droits humains ciblés par le régime.

À Marseille, Monia Ben Jemia a conclu sa masterclasse en dédicaçant son dernier ouvrage, ‘‘Dominer et humilier. Les violences sexistes et sexuelles en Tunisie’’ (Éditions Cérès). Un geste simple mais symbolique, qui illustre sa conviction : la lutte pour les droits et la démocratie est avant tout une question de parole, de visibilité et de courage.

La démocratie reste un combat quotidien

Son intervention rappelle, dans un contexte méditerranéen fragilisé, que défendre la démocratie reste un combat quotidien. Les mots, lorsqu’ils sont portés par l’expérience et l’engagement, deviennent une arme contre les injustices et les dérives autoritaires, et un appel à la mobilisation collective.

«La décennie que Kaïs Saïed qualifie aujourd’hui de décennie noire a été la plus belle de ma vie. Nous avons obtenu de nombreuses avancées pour les droits des femmes et la lutte contre les violences, qui ont soulevé beaucoup d’espoirs pour les femmes du monde arabe. Aujourd’hui la plupart des associations de défense des droits humains en Tunisie sont suspendues ou menacées de dissolution. Les femmes victimes de violence n’ont plus de recours, plus de secours. C’est grave !», explique l’activiste.

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