Ce n’est certainement pas sur les Etats-Unis d’Amérique qu’il faut compter pour régler équitablement le conflit israélo palestinien puisque dans sa gestion des revendications nationales palestiniennes, le gouvernement israélien ne fait que se référer de jure et de facto au précédent colonial américain, qui, un siècle plus tôt, avait vu les autochtones indiens dépossédés de leurs terres et massacrés.
Par Dr Mounir Hanablia *
Les Etats Unis d’Amérique ont obéi à un projet dès l’établissement de leur union, celui d’acquérir les territoires à l’Ouest jusqu’à l’Océan Pacifique, ainsi que l’a établi l’ordonnance du Nord Ouest de Thomas Jefferson. Mais dans leur expansion et dans leur volonté de repousser plus loin la frontière, ils ont constamment dû composer avec le facteur indien, souvent par la négociation quand le rapport des forces était défavorable, et parfois par la guerre.
Les Indiens étaient un ensemble de tribus hétérogènes groupées en confédérations appelées nations, ignorant la propriété privée des terres, que l’introduction du cheval a transformés en chasseurs nomades dont le bison constituait la principale source de subsistance.
Le gouvernement fédéral américain, grâce à des traités, a pu obtenir le libre passage des colons sur leurs territoires, tout en délimitant des zones à leur usage exclusif, en particulier à partir de 1851 avec le traité de fort Laramie.
Néanmoins le Congrès américain finit par ne plus considérer les territoires indiens comme ne faisant pas partie des Etats, d’autant que ces traités sont considérés par l’article VI de la Constitution comme des lois fondamentales du pays.
La ruée sauvage vers l’Ouest tranquille
Avec le développement du chemin de fer et l’afflux de plus en plus important de migrants en provenance d’Europe à la recherche de terre, et avec la loi Hampstead accordant 160 hectares à chaque propriétaire, la pression sur les territoires indiens ne cessait de croître, les incidents se multipliaient et les traités étaient constamment révisés, ou renouvelés. Le plus grave était l’abattage massif par les colons des bisons qui après avoir pullulé avaient pratiquement disparu, réduisant ainsi les tribus à la famine.
C’est après la Guerre de Sécession à partir de 1863 et la disponibilité de l’armée pour encercler les territoires indiens par un réseau de fortins que les Indiens se virent de plus en plus privés de leurs meilleures terres et refoulés dans ce qu’il a été convenu d’appeler des réserves, dans le territoire situé entre la chaîne montagneuse des Big Horn au sud de la rivière Yellowstone, et le Missouri, à la jonction du Montana, du Sud Dakota, du Wyoming, et de l’Oklahoma.
Si les sociétés de chemin de fer ont été les vecteurs incontestables de cette ruée vers l’Ouest, et si elles ont acquis la majeure partie des terres dans les nouveaux territoires, il n’en demeure pas moins que les fronts des fermiers, des éleveurs, et des mineurs, en particulier ceux à la recherche d’or, ont tour à tour, durant la seconde moitié du XIXe siècle, entraîné une bonne partie de la population vers les prairies et les collines, à la recherche de la fortune.
On a appelé cela l’âge d’or, mais en l’espace d’une trentaine d’années, la majorité de l’exploitation minière n’était plus assurée que par de grands groupes capables de la financer, et avec la mécanisation de l’agriculture et la libéralisation des prix, et malgré le décuplement de la production agricole et la rationalisation de l’exploitation, les fermiers étaient de moins assurés de faire des bénéfices, laissant la place libre à des sociétés agricoles pouvant y investir et en supporter les coûts.
Quand l’Amérique massacrait les autochtones indiens.
Comme l’élevage obéissait aux mêmes normes et que les grands parcours libres dans la prairie se faisaient de plus en plus rares, ce sont finalement les grands groupes industriels et financiers qui se sont révélé être à la fin du siècle les grands bénéficiaires de la colonisation de l’Ouest américain. Et le développement économique depuis la fin de la guerre de sécession avait été tel que les Etats-Unis au début du XXe siècle étaient devenus la première puissance du monde, devançant les économies de l’Angleterre, de l’Allemagne, et de la France réunies.
La montée de la violence et du racisme
Tout cela avait eu un coût, le racisme anti-Noirs, anti-immigrés issus de pays autres qu’anglo-saxons, juifs, catholiques, chinois, jugés impropres aux normes civilisationnelles américaines et à la démocratie. Des mouvements xénophobes tels que les Know Nothing avaient diffusé le populisme et ce qu’on appelait le nativisme, à savoir la primauté de ceux nés sur le sol américain par rapport aux immigrés. Mais c’est sur le front social que les choses étaient devenues inquiétantes.
Avec la multiplication des usines et la constitution d’un important tissu industriel, les ouvriers avaient dû se regrouper pour faire face à un patronat souvent peu scrupuleux au point de faire qualifier quelques uns de ses membres de «barons voleurs». Ainsi des grèves longues et dures frappèrent les chemins de fer, face auxquelles les propriétaires finirent par obtenir l’organisation d’une Garde Nationale dont ils assuraient le financement, chargée d’assurer l’ordre. Et après la tuerie de Hay Marquet au cours de laquelle la police avait ouvert le feu après la mort de quelques un de ses membres au cours d’une explosion, huit activistes du mouvement ouvrier avaient été exécutés alors qu’il était prouvé qu’ils n’avaient pris aucune part à l’attentat.
Pourtant dans ce climat de violence et de racisme , l’Indien était demeuré l’altérité absolue, celui auquel on déniait tout droit sur le sol supérieur à celui d’un bison, que la civilisation anglo-saxonne ne pouvait pas assimiler et qui, quoique enfermé dans des réserves exigües n’assurant pas sa subsistance, soumis à un enseignement et à une christianisation chargés d’annihiler sa personnalité, culturellement et démographiquement en voie de disparition, constituait toujours dans l’inconscient collectif américain, l’ennemi irréductible, fourbe, cruel, paresseux, alcoolique, et même sans dignité depuis sa participation aux spectacles qualifiés d’attaques indiennes contre les diligences, organisés dans les cirques à travers le monde.
La solution finale à Wounded Knee
C’est ainsi qu’en 1890, après l’ouverture des derniers territoires indiens disponibles à la colonisation dans l’Oklahoma, un mouvement religieux messianique faisait son apparition, à l’instigation d’un Sioux, un certain Wowoka, prophétisant l’arrivée du temps où les tribus retrouveraient leurs territoires de chasse d’antan en toute liberté sans entraves. Cette prédication s’accompagnait d’un rituel, qualifié de Ghost Dance. Un chef doté du grand prestige de résistant, Sitting Bull, décidait de se rallier au mouvement.
Le gouvernement des Etats-Unis, prévenu par des Indiens «progressistes», c’est-à dire issus des écoles chargées de les «éduquer», envoyait l’armée désamorcer ce qu’il considérait comme une révolte en préparation.
Le 14 décembre de la même année, le chef Sitting Bull était assassiné dans des circonstances obscures alors que des soldats venaient l’arrêter. Le 29 décembre, au lieu dit Wounded Knee, dans l’Oklahoma, un camp de 400 indiens, composé en majorité de femmes et d’enfants, était encerclé par l’armée qui, après avoir pointé 4 mitrailleuses Hotchkiss, demandait aux hommes de jeter leurs armes. Alors qu’ils commençaient à s’exécuter une fusillade éclatait, faisant plus de 300 morts parmi les Indiens et une trentaine parmi les soldats.
La responsabilité de la fusillade n’a jamais pu être établie avec certitude. Néanmoins, il était à tout le moins maladroit de tenter de désarmer des Indiens déjà peu disposés à l’être et qui protégeaient leurs familles en un lieu exposé où ils avaient toutes les raisons de craindre une embuscade, particulièrement par le régiment, le 7e de cavalerie, vaincu en août 1876 à Little Big Horn par les Sioux de Sitting Bull, et dont le chef, le colonel Custer, avait été scalpé. De surcroît, la mise en batterie des mitrailleuses préalablement à l’action témoignait déjà d’intentions pas forcément pacifiques alors que le nombre de guerriers était plutôt réduit dans le groupe.
Cependant, ce massacre final de Wounded Knee, qui marquait la fin définitive de la conquête de l’Ouest, ne serait pas commémoré par le gouvernement et l’armée, il n’en laisserait pas moins un souvenir cuisant dans les mémoires indiennes.
D’autre part, le comportement de l’administration américaine, et la politique du gouvernement Israélien, vis-à-vis des Palestiniens, et sans doute de l’ensemble des populations du Moyen-Orient, apparaissent ainsi obéir à une logique de l’extermination contre l’autochtone dont les précédents remontent de toute évidence aux guerres indiennes.
Ce n’est donc certainement pas sur les Etats-Unis d’Amérique qu’il faut compter pour régler équitablement le conflit israélo palestinien puisque dans sa gestion des revendications nationales palestiniennes, le gouvernement israélien ne fait que se référer de jure et de facto au précédent colonial américain. Si les Arabes veulent la paix, ils n’ont d’autre choix que préparer, ainsi que le fait l’Iran, la guerre.
Médecin de libre pratique.
‘‘Wounded Knee ou l’Amérique fin de siècle: 1890’’, d’Élise Marienstras, éditions Complexe, Paris, 1992, 275 pages.
Donnez votre avis