Pour les réfugiés à Tunis confrontés à la répression policière alors que l’aide est bloquée, le froid hivernal est désormais leur plus grand ennemi.
Reportage de Simon Speakman Cordall
«C’est très froid. Je n’ai pas de tente», raconte à Al Jazeera la femme de 22 ans, qui dit s’appeler Jessica, le petit garçon de son amie accroché à son cou.
«J’utilise simplement le carton», dit-elle à propos du carton sur lequel elle dort. C’est sa seule protection contre le froid et le vent nocturne. Et ajoute : «J’ai mal quand je me réveille.»
Jessica a fui une vie de misère à Freetown, en Sierra Leone, il y a quatre ans, pour finalement se rendre à Oman. Elle est arrivée en Tunisie il y a deux semaines mais ne sait pas ce qu’elle va faire maintenant.
Nous sommes en novembre et la pluie balaye actuellement Tunis, avec des températures qui devraient rester basses. Jessica dort dehors avec environ 150 autres réfugiés, demandeurs d’asile et migrants devant les bureaux de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le quartier d’affaires huppé du Lac 1, à Tunis.
A quelques centaines de mètres, des centaines d’autres dorment dans le parc ou dans la tour à moitié achevée qui le surplombe.
«J’ai peur de la police, dit Jessica. Si vous sortez et qu’ils vous attrapent, ils vous emmèneront au commissariat.»
Les habitants des deux camps disent avoir le sentiment d’avoir été oubliés – par la société, le gouvernement et la communauté internationale. La majorité des personnes rassemblées à Tunis seront là pour le long terme.
Certains attendent une «carte de réfugié» – un document d’enregistrement temporaire du HCR valable un an attestant du statut juridique d’une personne en tant que réfugié –, d’autres attendent une mer calme qui rendra moins dangereux leur traversée entre la Tunisie et l’Europe.
«Je vis ici depuis deux mois. Le froid rend les choses difficiles. Le sol est si froid. Je n’ai pas de couvertures», explique Matteaus Osman, 20 ans. Il erre dans la ruelle étroite où les eaux usées s’accumulent et montre du doigt le carton sur lequel il dort à l’extérieur de tentes principalement occupées par des familles avec enfants. «Quand je me réveille, j’ai mal», dit-il.
«Pas de nourriture, pas d’opportunité»
En septembre, des unités de la police tunisienne et de la Garde nationale ont mené une vaste campagne de répression contre les réfugiés séjournant dans la région côtière de Sfax. Le gouvernement a déclaré qu’il s’agissait d’une opération visant à lutter contre le trafic de migrants. Mais des groupes d’activistes et des agences humanitaires affirment qu’ils ont été empêchés par la police de livrer des secours aux réfugiés à Tunis ou à ceux rassemblés dans la ville portuaire de Sfax, pendant deux semaines. Beaucoup sont encore inquiets à l’idée d’être arrêtés par la police qui apporte de l’aide à ceux qui dorment dans la rue.
Aux abords du parc, une longue ligne de carton, posée sur la terre sèche, longe la clôture. Les couvertures sont rares.
Dans une section impossible à distinguer des autres, Suleiman, 43 ans, un chrétien orthodoxe égyptien, montre où il dort. «C’est comme ça qu’on vit, on dort pendant la saison froide et il va faire de plus en plus froid», dit-il, les cheveux gris visibles dans sa moustache. «Nous n’avons ni nourriture ni possibilité de trouver un emploi. C’est très dur», ajoute-t-il.
Dans la tour à moitié achevée située à proximité, chaque étage accueille d’innombrables réfugiés et demandeurs d’asile, tous faisant ce qu’ils peuvent pour se protéger du vent froid de la nuit qui souffle à travers les murs en partie construits.
Au rez-de-chaussée, un marché de bidonville occupe l’espace, avec l’air rempli de vapeur provenant des pâtes et des sauces bouillantes, obtenues grâce aux revenus que l’on peut tirer du travail journalier et de la petite allocation versée à ceux qui ont passé des mois à naviguer dans la bureaucratie de l’Onu.
Mohamed Marengan du Soudan fait office de guide touristique et guide Al Jazeera à travers la tour squelettique. Il désigne ceux recroquevillés sur des cartons ou couchés sous les quelques couvertures. Pendant ce temps, il réitère ses avertissements concernant le trou dans le sol qui traverse le bâtiment et décrit comment deux personnes s’y sont fracturé les jambes.
«Le propriétaire de ce bâtiment a appelé la semaine dernière. Il veut que tout le monde sorte. Il a le droit de faire ça. Nous en avons parlé aux Nations Unies. Nous disons que nous avons besoin d’un endroit pour dormir. Ils n’ont rien faire», explique-t-il. Il ajoute : «La situation est grave. Si nous partons d’ici. Nous faisons quelques kilomètres. Et nous sommes arrêtés».
Des mois d’attente pour les cartes de réfugiés
Le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, affirme qu’il fait ce qu’il peut pour aider les réfugiés bloqués ici, mais les abris qu’il a fournis sont déjà à pleine capacité. De plus, l’augmentation du nombre de réfugiés arrivant ici depuis le début des combats au Soudan en avril a submergé les deux bureaux tunisiens – à Tunis et à Zarzis.
L’année dernière, l’Onu a enregistré 203 arrivées soudanaises au total. En octobre de cette année, le nombre était de 2 523, et d’autres arrivent chaque jour.
L’agence a obtenu des ressources supplémentaires, a déclaré un porte-parole. Malgré cela, les réfugiés arrivant à Tunis doivent encore s’attendre à une longue attente avant de pouvoir obtenir une carte de réfugié. Pour le moment, l’attente est de plusieurs mois. Cela pourrait descendre à deux mois d’ici 2024, a déclaré le porte-parole.
En attendant, les arrivés devront continuer d’attendre alors que les températures baissent.
Mais, même lorsque vous avez obtenu une carte, celle-ci ne vous offre qu’une protection juridique. En théorie, la carte permet aux réfugiés de se déplacer et d’accéder aux services de base, mais elle n’est pas toujours d’une grande aide.
Abdullah Babaker du Soudan affirme qu’il a été arrêté par la police à la gare de Tunis avec cinq autres personnes à leur arrivée de Sfax, malgré la présentation de leurs cartes de réfugié délivrées par le bureau du HCR à Zarzis.
Le policier «a simplement pris la carte et l’a mise dans sa poche», raconte Abdullah, décrivant comment lui et cinq autres personnes ont été conduits au commissariat de police avant d’être condamnés à un mois d’emprisonnement pour entrée illégale dans le pays, la peine légale pour un tel délit.
Trois mois après son entrée en Tunisie – deux mois en attente de carte à Zarzis et un mois en prison – Abdallah arrive enfin au Lac 1, où il séjourne depuis quatre jours. Ce n’est pas tout ce qu’il espérait. «En prison, ma vie était meilleure. Je peux manger gratuitement. Je peux boire gratuitement. Je peux me doucher gratuitement. Mais ici, je ne peux pas. La vie en prison est aussi belle qu’ici», dit-il
Des abus de la part des autorités
L’expérience d’Abdullah est loin d’être unique. L’ONG Refugees International a publié le mois dernier un rapport détaillant les abus commis contre les réfugiés par les services de sécurité tunisiens, notamment des agressions violentes et des expulsions forcées vers des zones désertiques et frontalières.
«Selon plusieurs rapports d’agences internationales que nous avons obtenus, les personnes détenant des papiers (du HCR) ont non seulement été soumises à des arrestations et à des emprisonnements illégaux, mais elles ont également subi des expulsions illégales et violentes vers les zones frontalières et désertiques qui se poursuivent depuis au moins le début de l’été et qui ont entraîné de nombreux blessés ainsi que des dizaines de morts», a déclaré Jeremy Konyndyk, président de Refugees International, à Al Jazeera par courrier électronique.
«Il semble y avoir très peu de surveillance ou de responsabilité en ce qui concerne les pratiques abusives – malgré les préoccupations répétées en matière de protection exprimées par les organisations tunisiennes, les agences internationales et les gouvernements étrangers», ajoute-t-il
Les arrivées en Europe en provenance de Tunisie ont presque doublé depuis l’année dernière, exacerbant les tensions dans les pays du sud de l’Europe, mais donnant aux réfugiés ici l’espoir qu’ils pourraient traverser la Méditerranée – s’ils parviennent à survivre à cette dangereuse traversée.
Pendant ce temps, pendu au bras de Jessica dans la ruelle devant l’OIM à Tunis, un bébé pleure.
Traduit de l’anglais.
Source : Al Jazeera.
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