Ghannouchi : le salafiste et le pseudo-moderniste.
Qui ne dit mot consent, dit le proverbe populaire. Rached Ghannouchi gardant le silence, depuis le discours du président de la république, sur l’égalité successorale y consent-il?
Par Farhat Othman *
On ne peut envisager que Béji Caïd Essebsi ait tenu son propos du 13 août sans en avoir avisé son vieux complice, quand bien même il reste son rival. En effet, il est de notoriété publique que le président de la république ne fait rien d’important sans en aviser au préalable le chef islamiste, réalisme politique oblige.
C’est que personne, au fait des réalités du pays, n’ignore la capacité d’action ou de nuisance, selon le point de vue, du parti islamiste; elle est tellement grande que rien d’utile ne peut être tenté, et encore mieux réussir, sans sa neutralité pour le moins
De fait, avec l’UGTT, c’est l’autorité effective dans un pays qui n’est plus gouverné à l’ancienne. Or, la puissante centrale syndicale a choisi de temporiser, bottant en touche, ne refusant certes pas l’option de l’égalité — ne serait-ce que du fait de sa fatalité — mais en reportant l’application à plus tard, autant dire aux calendes grecques.
Aussi fallait-il contrer une telle opposition de poids, politiquement un refus poli, mais refus quand même, par un soutien franc et de poids équivalent qui soit de nature à permettre d’initialiser la réforme, ne serait-ce que par étapes, concrètement.
C’est ce qui est attendu des islamistes bien que leurs franges les plus extrémistes n’y soient pas encore prêtes comme on l’a vu avec certaines figures connues, bien qu’elles restent carnavalesques.
Fatal passage à l’islam des Lumières
C’est pourtant la chance de l’islam politique en Tunisie à saisir sans hésiter pour s’imposer durablement comme pilier incontournable de la scène politique, non seulement en Tunisie, mais dans le monde arabe et musulman; et ce en apportant la preuve que l’islam tunisien est la «démocratie islamique» tant attendue en Occident.
C’est ce qui explique le silence de Rached Ghannouchi qui a besoin de temps pour convaincre les caciques de son parti à adhérer sans rechigner à cette mue stratégique d’Ennahdha, déjà entrevue lors de son denier congrès.
Les résistances sont tellement fortes au sein du parti que le silence en devient assourdissant, l’autorité du chef étant même contestée par certaines de ses franges jusqu’au-boutistes qui pourraient saisir l’occasion pour servir leurs propres ambitions, jouant la carte du nécessaire renouvellement des cadres dirigeants.
Dans une telle partie de bras-de-fer, contrairement à ce que semble croire le président de la république, ce n’est pas en ménageant les islamistes que l’on réussira à obtenir davantage de concessions de leur part. C’est plutôt en les pressant le plus possible sur les questions sensibles, aussi bien en matière de droits et de libertés, qu’en matière de responsabilité politique qu’on aura le plus de chances que se réalise la fatale bascule vers l’islam des Lumières du côté de nos salafistes religieux.
Mais le président de la république veut-il vraiment d’une telle bascule? Ne joue-t-il pas de son côté, à sa manière, la carte des valeurs sans trop y croire ni les vouloir? N’est-ce pas le propre de la pratique politique à l’antique dont il use aussi, mais en salafiste profane?
Ghannouchi pourra-t-il se libérer de l’influence de ses mentors « Frères musulmans » ? Rien n’est moins sûr.
Soutien à forcer
Contrairement aux apparences, forcer le passage à l’islam des Lumières fera moins mal au chef du parti islamiste qu’aux forces qui y contestent son autorité, tout autant qu’à ses ennemis laïcistes. Ce qui ne sera que tout bénéfice pour la Tunisie. Faut-il le vouloir!
Cela pourrait l’être en avançant encore plus dans la normalisation des rapports avec la Syrie, par exemple, et en réalisant l’égalité successorale sans plus tarder et aussi l’abolition, outre la circulaire illégale en matière de mariage de la Tunisienne avec un non-musulman, des circulaires de même nature, telles celles en matière d’alcool.
Sans nul doute, on renforcera alors la position de Ghannouchi qui, devant un tel péril menaçant d’étaler les turpitudes islamistes, pourrait exciper de la validité de sa méthode et de sa sagesse, s’employant à sauvegarder l’essentiel, à savoir le maintien au pouvoir de son parti au lieu de risquer de devoir rendre compte de sa gestion passée du pays et dénoncer sa lecture rétrograde de l’islam. Or, les islamistes risquent gros à devoir faire face à leur irresponsabilité flagrante d’honorer leurs responsabilités passées et présentes au service de la patrie.
On ne le sait que trop, d’ailleurs; c’est une loi sociologique jamais démentie : lorsqu’il y va de la pérennité ou de la surie d’un organisme, il lui arrive de renier certains de ses dogmes les plus cardinaux en vue de se préserver.
C’est de cela qu’il s’agit pour Ennahdha, et la question de l’égalité successorale est l’un de ces sacrifices demandés aux plus intransigeants des islamistes pour rester en vie et, bien mieux, pour s’épanouir enfin, rénovant leur lecture théologique pour un islam de notre temps.
Cela veut dire, en somme, que le silence de Ghannouchi est à la fois tactique et stratégique pour celui qu’on a l’habitude de présenter en véritable animal politique, une figure januséenne de la politique, au même titre que son rival et allié Caïd Essebsi.
Une telle particularité commande, si l’on sert vraiment la cause humaniste, de ne pas le ménager sur ce qui est inévitable, car c’est ce qui ne le desservirait pas tout en servant le pays; le philosophe ne dit-il pas que ce qui ne nous tue pas nous renforce?
Aider Ghannouchi à convaincre son parti revient, non seulement à précipiter la réalisation de l’égalité successorale en Tunisie et du mariage de la Tunisienne avec un non-musulman, mais aussi d’agir pour revitaliser les droits et les libertés citoyennes, comme de libérer le secteur de l’alcool, dépénaliser la consommation du cannabis et abroger la loi homophobe de la colonisation, ce viol caractérisé de l’islam.
C’est un tel printemps islamique aux couleurs tunisiennes qui fera de notre pays et de son parti islamiste un modèle du genre dans le monde. Osera-t-on anticiper une telle destinée d’une Tunisie des libertés et aussi du libre arbitre en matière des droits à une vie intime souveraine?
Fera-t-on de cette rentrée 2017 celles du triomphe du droit et d’une saine lecture de la foi des Tunisiens? Cela dépendra surtout de M. Caïd Essebsi à oser encore plus afin que M. Ghannouchi ne reste pas dans son confortable silence assourdissant.
Ce serait alors faire le plus beau cadeau à la Tunisie à la veille de la célébration du 7e anniversaire du «coup du peuple», un âge de raison en politique.
* Diplomate et écrivain.
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