L’Institut national de la statistique (INS) a annoncé, vendredi 5 janvier 2024, un autre repli du taux d’inflation à 8,1%. Évidement, ce quantum est sujet à critique dans ses modalités de calcul et d’approximation. Nonobstant les limites et biais liés à l’estimation de l’inflation, on doit s’attendre à une rapide baisse sensible du taux d’intérêt directeur…
Par Moktar Lamari, Ph.D
Pour de nombreux économistes, les méthodes utilisées par l’INS pour estimer le taux d’inflation sont désuètes, obsolètes. Elles ne tiennent pas compte de tous les marchés (formels et informels) et de toutes les régions (rurales et urbaines) de la Tunisie dans le suivi et la prise en compte de la valse quotidienne des prix de tous les biens et services, et tous les paniers de consommateurs. Au Maroc, on tient compte de tous les marchés, même ceux qui sont informels. Et on retient plusieurs taux d’inflation régionaux avant de les agréger en un seul fédérateur.
Les méthodes de calcul utilisées par l’INS ont tendance à surestimer l’inflation de 1,5 à 2%. Et cela est confirmé par plusieurs des économistes internationaux, spécialistes des méthodes de calcul de l’inflation, basées sur le consumer price index ou CPI (cf, The Boskin Commission Report on overestimation of CPI).
Sortir du cercle vicieux
Quand l’INS surestime son taux d’inflation, les banques tunisiennes s’enrichissent sans prendre de risques (rentes de situation) et les investisseurs se replient. Et la croissance économique avec.
Le passage de relais entre l’INS et la Banque centrale de Tunisie (BCT) doit cesser, et ces deux institutions doivent retrouver leur sagesse et leur sens de l’intérêt général. La relance économique en dépend!
Des milliers d’investisseurs attendent la baisse des taux d’intérêt bancaire pour investir; des centaines de milliers de chômeurs attendent le retour de l’investissement pour sortir d’un chômage maléfique et dévastateur pour le bien-être d’une génération entière.
La BCT doit aussi arrêter de subir les diktats des donneurs d’ordres internationaux : agences de notation, Fonds monétaire international (FMI) et Banque de France, entre autres.
Cela dit, on doit espérer, pour ne pas dire revendiquer, immédiatement, une révision à la baisse du taux directeur d’au moins 100 points de pourcentage. Le temps c’est de l’argent! Le taux directeur doit converger vers un couloir variant en 6 et 6,5%, toutes choses étant égales par ailleurs.
Le Maroc ayant eu des pics d’inflation proches de 8%, il y a quelques mois, mais la Bank El Maghrib a maintenu son taux directeur inférieur ou égal à 3%. Le taux de croissance moyen des dernières années au Maroc est de 4,5%.
A ce sujet, la sagesse des politiques monétaires marocaines l’emporte sur l’irresponsabilité monétariste en vigueur en Tunisie post-2011, et surtout depuis la Loi sur la BCT de 2016.
Défaire les collusions et l’omerta
Mais, cela risque de traîner en longueur, sachant que personne ou presque n’a intérêt à voir les statistiques de calcul de l’inflation se réviser pour baisser du jour au lendemain. D’autant que celles-ci servent aux calculs des hausses salariales négociés par les syndicats et conventions collectives!
Ces statistiques renforcent sensiblement et indirectement les rentes amassées par les collusionnaires du cartel des banques locales. Une sorte d’omerta pèse sur les enjeux des méthodes de calcul de l’inflation. Et on évacue ce débat brûlant et crucial pour la croissance dans tous ces médias populistes qui surfent sur l’audimat du sensationnel.
L’establishment de la capitale s’agrippe au statu quo, les parties prenantes ont intérêt à ce que les taux d’inflation soient surestimés. Il tient à ce que le taux directeur soit à son tour supérieur aux taux d’inflation, pour maximiser les taux de crédits bancaires (taux directeurs +3%). C’est pour cela qu’on veut faire taire toutes les voix dissonantes.
Les principaux perdants dans ce jeu maléfique sont ceux qui veulent investir et travailler fort pour créer la richesse et booster la demande agrégée intérieure. Ceux-là sont des entreprises, des consommateurs, des investisseurs… des patriotes honnêtes qui veulent relancer l’économie, avec un accès au crédit moins coûteux et à des taux concurrentiels leur permettant de préserver leurs avantages comparatifs.
En même temps, la Tunisie ne doit pas tarder à réviser et à mettre à jour les approches et les institutions de production des statistiques utiles à la production d’un taux d’inflation dépolitisé, neutre et stratégiquement utile à la relance économique.
* Economiste universitaire.
** Bias in the Consumer Price Index: What Is the Evidence? Brent R. Moulton, Journal Of Economic perspectives; Vol. 10, N° 4, Fall 1996! pp. 159-177.
Blog de l’auteur : Economics for Tunisia, E4T.
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