Des constituants(es) rappellent l’absence de toute référence à la religion en matière de législation et la consécration de l’Etat civil dans la constitution de 2014.
Le débat bat son plein sur la question de l’égalité dans l’héritage et une partie de la population exprime de l’indignation face à cette volonté d’aller vers la consécration de l’égalité conformément à la constitution du 26 janvier 2014.
Nous constituants(es) signataires de ce texte, nous voulons rappeler aux Tunisiens que lors du débat sur la constitution, un certain nombre de questions ont été débattues et tranchées par le vote du 26 janvier 2014 et notamment les questions de la citoyenneté, de l’égalité et du rapport entre l’Etat et la religion qui ont ponctué nos travaux tout au long des trois années.
Certains voudraient aujourd’hui nous ramener à un débat qui a déjà eu lieu et qui a été tranché par l’adoption quasi unanime de la constitution en affirmant l’impossibilité d’instaurer l’égalité dans l’héritage qui serait contraire à la charia. Veulent-ils déjà remettre en cause la constitution et ses acquis ?
Au premier trimestre 2012, le parti Ennahdha a voulu inscrire la charia comme source de droit mais a été obligé d’y renoncer au bout de 3 mois de débat et devant le refus des élus démocrates à l’Assemblée et la mobilisation massive des sécularistes et des femmes lors de la manifestation du 20 mars contre ce projet. Il a donc été obligé de retirer sa proposition le 26 mars 2012.
La question a été remise sur le tapis lors du vote de la constitution et deux amendements ont été proposés le 4 janvier 2014, l’un proposant l’islam et l’autre le Coran et la sunna comme «source principale de la législation» et les deux ont également été rejetés.
L’article 1 premier a quant-à-lui été longuement débattu. Les islamistes soutenant que l’islam était la religion de l’Etat alors que les sécularistes affirmaient que l’islam y était consacré comme religion du pays, de la société, c’est d’ailleurs l’interprétation qui en a été retenue par la jurisprudence constitutionnelle jusque-là.
Finalement le consensus a été pour le maintien de cet article qui consacre simplement l’islam comme étant la religion de la Tunisie, dans le sens, religion de la majorité de la société tunisienne. Nous en voulons pour preuve l’adoption d’un article 2 qui consacre le caractère civil de l’Etat qui dispose «la Tunisie est Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.»
La commission de coordination a bien tenté de glisser une interprétation «l’islam comme religion de l’Etat» en proposant cette formulation dans l’article (141) mais la proposition a été débattue et rejetée majoritairement après un bras de fer qui a duré quelques mois.
En l’absence de toute référence à la religion en matière de législation et avec la consécration de l’Etat civil dans le préambule et dans l’article 2, il n’y a pas matière aujourd’hui à vouloir lire la constitution sous l’aune religieux.
Un Etat civil n’est lié à aucune religion et sa législation s’inspire exclusivement du droit positif. Il ne fait, pour nous, aucun doute que le débat sur l’égalité dans l’héritage ne peut se placer que sur le terrain du droit d’un Etat sécularisé.
De plus, la constitution qui a consacré l’égalité entre les citoyens dans son article 21 («les citoyens e les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs…») et dont l’article 46 incite à mettre fin à toutes les formes de discriminations, contient une clause prohibant toute révision qui compromettrait la garantie des droits et libertés fondamentaux : «il n’est permis à aucun amendement de porter atteinte aux acquis des droits de l’Homme et de ses libertés garantis dans cette Constitution» (art 49). Sont ainsi visés, au minimum, les droits et libertés garantis par les vingt-huit articles du titre II, parmi lesquels figurent notamment le principe d’égalité (art. 21).
Enfin, l’adoption quasi unanime de cette nouvelle constitution induit inéluctablement une harmonisation des lois avec ce nouveau texte fondateur et le code du statut personnel n’échappe pas à ce chantier de réformes incontournables. Il contient en effet plusieurs dispositions devenues anti-constitutionnelles. La question de l’inégalité dans l’héritage devait inévitablement se poser car un Etat démocratique se doit de mettre fin à toutes les inégalités entre les citoyens.
Premiers signataires : Nadia Chaabane; Karima Souid; Chokri Yaich; Wafa Neffissa Marzouki; Naceur Brahmi; Salma Baccar; Hasna Marsit; Fatma Gharbi; Amira Marzouk; Manel Kadri; Nooman Fehri; Monia Benasr Ayadi; Ali Bechrifa ; Sélim Ben Abdesselem; Selma Mabrouk…
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