De vraies bonnes nouvelles nous concernant sont ébruitées dans le sillage des travaux de l’assemblée générale des pays membres du FMI et de la Banque mondiale.
Par Asef Ben Ammar, Ph.D. *
Alors que ces travaux, tenus à Washington entre le 13 et le 15 octobre 2017, touchent à leur fin, des sources informées nous apprennent que la délégation tunisienne présente à Washington a fait valoir sa ferme intention et total engagement en faveur des financements basés sur le concept du partenariat-public-privé (PPP).
Au total, 34 mégaprojets, d’un investissement global de 9 milliards de $ US, soit 22,2 milliards de dinars tunisiens, ont été discutés et des options ont été exprimées par plusieurs partenaires pour les co-financer dans le cadre de PPP. Et tout indique que l’accueil fait à l’engagement tunisien en faveur des PPP a été très positif, non seulement de la part du FMI et de la Banque mondiale, mais aussi de la part de plusieurs bailleurs de fonds privés et de gouvernements de pays amis de la Tunisie, et pas les moindres.
Avec ces nouvelles encourageantes pour l’économie tunisienne, deux questions cruciales méritent réponses: i) Qu’en est-il au juste? ii) la Tunisie a-t-elle adopté définitivement le concept PPP et s’est-elle préparée suffisamment pour profiter de cette manne d’investissement providentiel?
Qu’en est-il au juste?
Dans son déplacement à Washington la délégation tunisienne a été renforcée par la présence de nombreux experts non gouvernementaux très convaincants et par la documentation d’au moins trois dizaines de mégaprojets pressentis pour un financement en PPP.
9 milliards $US. Le montant est considérable et peut donner un réel coup de fouet à l’économie tunisienne, s’il était financé rapidement. C’est presque l’équivalent du tiers du PIB annuel tunisien. Selon nos sources, la délégation tunisienne a «marketé» de façon rassurante ces mégaprojets, qui seront mis dans le «pipeline» des investissements durant les trois prochaines années, et ce au profit de plusieurs secteurs et régions de la Tunisie.
À cet effet, les secteurs concernés sont ceux du transport (terrestre et maritime), de l’énergie (fossile et solaire), de l’environnement (assainissement, recyclage, etc.), du dessalement des eaux de mer, de la santé et des infrastructures. Quasiment toutes les régions littorales et continentales sont concernées par ces mégaprojets en devenir.
Proactivité. Les étoiles sont alignées, et la Tunisie fait bien de jouer, de manière proactive et à fond la carte des PPP. Elle prend les devants de plusieurs pays arabes comparables au Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA).
Plusieurs observateurs ont salué l’audace des experts tunisiens et applaudi le changement de tonalité de la politique tunisienne au regard des PPP. Et cela aurait été vérifié dans la dizaine de rencontres et discussions en bilatéral et en multilatéral. Selon les analystes, le vent de changement et d’optimisme coïncide avec la reprise de l’économie mondiale, annoncée par le FMI et sa Pdg, Christine Lagarde, il y a une semaine.
Les experts tunisiens présents à Washington ont fait valoir leur «anticipation rationnelle», pariant sur la bouffée d’oxygène créée par la reprise de l’investissement international, après une décennie de marasme économique à l’échelle mondiale.
Certains stratégistes et observateurs avertis à Washington soutiennent que le regain de croissance en cours sera très bénéfique aux mégaprojets en PPP; l’épargne internationale veut s’investir et rattraper ses manques à gagner.
Options. Toujours, selon nos sources plusieurs pays (US, France, Allemagne, Italie, Qatar, Emirats arabes unis, etc.) auraient manifesté leur intérêt et pris des options sérieuses pour des cofinancements de certains mégaprojets précis, avec à la clef des promesses qui se chiffrent en centaine de millions de $ US, comme participation effective (et pas en dons ou prêts).
On apprend aussi que parmi les 16 pays du MENA, la Tunisie sera positionnée première en nombre de mégaprojets présentés aux milieux d’affaires et soumis aux différentes tables de négociations et ateliers de «diplomatie économique». En matière du volume de financements des PPP mis de l’avant, la Tunisie arrive en sixième position, distancée par 5 pays arabes producteurs de pétrole.
Plus d’informations seront certainement données sur les détails des PPP en Tunisie, les prochains jours. Mais déjà, des groupes d’investisseurs à Londres et à New York ont cartographié les investissements en PPP attendus dans ce cadre en Tunisie et dans les pays arabes voisins et du Moyen-Orient.
Le ‘‘Middle East Economic Digest’’ (MEED) a aussi produit un document d’affaires, diffusé de manière officielle pendant les travaux de l’Assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale. La carte des mégaprojets en PPP dans les pays du MENA est déjà disponible et échangée officiellement dans plusieurs Breaking news et plateformes Web 2.0.
Nombre et montants des projets présentés par les pays de la région Mena.
Quels enjeux et quels défis?
C’est connu, le modèle d’affaires basé sur les PPP permet de mutualiser les risques (entre le secteur public et le secteur privé) et de fédérer les intérêts, tout en minimisant les coûts et en mobilisant des investissements et des technologies impossibles à obtenir si les gouvernements restent cloitrés dans leur modèle public et hiérarchique. Un peu partout dans le monde les mégaprojets sont entrepris dans le cadre du modèle PPP, mais avec bien de différences et adaptations contextuelles.
Le succès de la Tunisie dans la mobilisation des 9 milliards de $US dépendra de la capacité du pays à faire face à enjeux majeurs et à relever un certain nombre de défis urgents.
Enjeux. Trois enjeux méritent d’être clarifiés pour réussir les PPP et leur procurer les financements requis.
Le premier enjeu consiste à accepter l’idée que le service public conventionnel peut ultimement être rendu par et en collaboration avec des prestataires privés, et ce pour un certain temps après la réalisation de l’investissement PPP (10 ans au minimum, selon la Banque mondiale). La maîtrise de cet enjeu permet de faciliter les négociations d’investissements entre le public et le privé, et peut influencer l’attractivité des investisseurs internationaux. La société civile et les partenaires sociaux en Tunisie doivent se faire à cette idée et s’engager pour agir en fonction.
Le deuxième enjeu consiste à mettre à l’abri les projets PPP des tensions sociopolitiques qui peuvent créer des risques et imprévus générateurs de retard dans la livraison des mégaprojets, de dépassements de coûts et parfois de défiguration progressive du mégaprojet. Ici, aussi les partis politiques et partenaires tunisiens doivent éviter ces écueils qui seront ultimement couteux plus pour la Tunisie que pour les bailleurs de fonds internationaux.
Le troisième enjeu est législatif et réglementaire. Les pays ayant mis de l’avant des PPP pour des mégaprojets ont fait le nécessaire pour baliser ces investissements coûteux avec des repères juridiques et réglementaires conformes aux standards internationaux. Les PPP sont génétiquement allergiques aux risques, dans leurs différentes formes et étapes liées aux PPP : conception, financement, implantation, gestion, évaluation, etc.
En Tunisie, une loi a été votée au sujet des PPP depuis 2015, mais celle-ci est restée sans décrets d’application couvrant tous les aspects de l’opérationnalisation des PPP. De tels retards peuvent dissuader les investisseurs internationaux ou encore exacerber leur exigence en avance de fonds de la Tunisie, et ultimement des contribuables tunisiens. La législation PPP en Tunisie doit trouver les moyens de sanctuariser les mégaprojets initiés dans le cadre des PPP, et ce pour accélérer la mise en œuvre de ces 34 mégaprojets.
Sanctuariser les PPP et leurs financements veut dire que la société civile doit agir de manière à les mettre à l’extérieur des débats improductifs et des tensions politiques récurrentes entre les parties prenantes.
Défis. Au moins six défis sont à relever par le gouvernement Chahed, et dans les meilleurs délais pour mobiliser les 9 milliards de $US requis par les 34 mégaprojets pressentis pour le modèle PPP.
– La Tunisie a besoin d’une agence dédiée exclusivement à la gouvernance des mégaprojets et infrastructures majeures. Une telle agence devrait coordonner les dossiers PPP entre le gouvernement (différents ministères) et les partenaires internationaux (publics et privés) ou bancaires tunisiens pour finaliser les ententes PPP, sans faire perdre trop de temps et de moyens rares. La création d’une telle agence donnera le signal aux investisseurs internationaux que la Tunisie est sérieuse dans ses intentions et recherches de partenariats.
– Aussi, la loi régissant les PPP votée en 2015 doit proposer un template d’affaires précisant toutes les incitations, conditions et modalités de contractualisation des PPP, le tout pour éviter aux investisseurs internationaux de se perdre dans les dédales et les mille-feuilles de la bureaucratie tunisienne.
– Accélérer les PPP et attirer les investissements privés internationaux requiert la formation dès que possible d’une centaine de cadres et experts, et ce dans les meilleures universités américaines, anglaises et canadiennes; celles ayant développé des cursus universitaires dédiés aux PPP et de l’évaluation coût-bénéfice ex ante des mégaprojets. L’évaluation ex ante des mégaprojets, ainsi que les négociations liées aux PPP exigent la mobilisation d’experts talentueux, multilingues et capables d’assumer pleinement et honnêtement les fonctions liées et ses prérequis (intégrité, diplomatie, entre-gens, analyse politique, etc.).
– Dans le cadre des PPP, la Tunisie avec son déficit budgétaire grandissant ne peut aucunement faire cavalier seul, sans se coordonner avec la Banque mondiale et le FMI pour bénéficier de l’expérience de leurs experts. Et, faire valoir de telles collaborations constitue un actif et une garantie d’affaires, auprès des milieux bancaires en charge des financements privés des PPP. De tels atouts (collaboration et coordination) peuvent aider à baisser les taux d’intérêt des prêts à mobiliser par la Tunisie pour financer sa part dans les PPP. La Tunisie reste un pays très endetté, et il ne faut pas que les PPP en rajoutent démesurément au fardeau fiscal. L’efficience économique devrait rester le socle de tels investissements, qui doivent ultimement s’apprécier au regard des intérêts de la collectivité tunisienne dans son ensemble.
– La Tunisie doit se préparer activement (gouvernement, experts, société civile, universitaires, etc.) pour élaborer des dossiers «bancables» pour chacun des mégaprojets retenus, et ce pour mieux construire les argumentaires technico-économiques et mieux défendre les intérêts d’affaires. Les structures et les expertises requises à cette fin sont hélas quasi inexistantes dans aucun des ministères tunisiens.
– Les écrits issus de la recherche et les experts de la Banque mondiale l’ont démontré dans plusieurs de leurs rapports, l’échec des PPP est souvent expliqué par une fixation aveuglée sur les inputs (schèmes de financement, les détails de contribution, etc.) et une marginalisation des outputs (résultats, qualité des infrastructures, délais, coûts, offres de services modernes, etc.).
Enfin, et pour revenir aux débats ayant eu lieu entre la délégation tunisienne présente à Washington et ses partenaires internationaux (gouvernements et bailleurs de fonds privés), nos sources nos apprennent que les points de discussion les plus «délicats» ont focalisé 4 défis majeurs, à savoir i) la rigueur des coûts-bénéfices estimés en Tunisie pour chacun de ces 34 mégaprojets proposés, ii) la réelle volonté politique du gouvernement et des partis de la coalition (political will) au regard des mégaprojets à financer en PPP, iii) la vision liée à la structuration des ententes partenariales politiques et financières (deal structuring) et iv) le financement à rechercher auprès des milieux bancaires internationaux, particulièrement américains et moyen-orientaux.
On nous rapporte aussi que les rencontres réalisées par la délégation tunisienne dans le sillage de l’assemblée des membres du FMI ont été très fructueuses, et l’optimisme était de mise pour aller de l’avant, sans atermoiement ni perte de temps.
Les prochains jours nous diront un peu plus sur ces perspectives et engagements en faveur des PPP et mégaprojets en devenir.
* Analyse en économie politique.
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