Le président de la république Kaïs Saïed semble déterminé à faire promulguer le nouveau projet de loi sur les associations visant à priver beaucoup d’associations des fonds étrangers qui leur permettent de financer leurs activités, et ce au prétexte de lutter contre le blanchiment d’argent, le terrorisme ou encore l’ingérence d’Etats étrangers dans les affaires intérieures tunisiennes.
Par Imed Bahri
Lors de sa réunion, vendredi 8 mars 2024, avec le Premier ministre Ahmed Hachani, la ministre de la Justice Leila Jaffel, sa collègue des Finances Sihem Boughdiri Nemsia et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Fethi Zouhair Nouri, le locataire du palais de Carthage a, en effet, demandé au gouverneur de la BCT de prendre les mesures nécessaires au niveau de la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) pour «contrôler les sources des fonds affluant vers les associations provenant de cercles suspects à l’étranger», selon le communiqué rendu public par la présidence de la république à l’issue de la réunion. Le communique ajoute, citant le chef de l’Etat : «Le peuple tunisien n’accepte pas que quiconque s’immisce dans ses affaires, que ce soit ouvertement ou de manière secrète».
Fonds suspects ?
C’est la énième fois que le président Saïed évoque ce problème du financement étranger des associations opérant en Tunisie et d’accuser certaines d’entre elles d’être au service d’intérêts étrangers au détriment de l’intérêt national.
On sait qu’au lendemain de la révolution de janvier 2011, beaucoup d’associations à caractères religieux, caritatif ou socioculturel ont été créées qui ont servi, notamment, à diffuser des idéologies extrémistes. Quelques unes étaient même proches de partis politiques qu’elles aidaient à financer indirectement. On a souvent dénoncé ces antennes d’Etats ou de mouvements étrangers. Et les autorités publiques ont pris des mesures pour en identifier quelques unes et mettre fin à leurs activités.
Cela pour dire que la question soulevée par le président Saïed est légitime, mais la société civile craint que la manière dont la problématique du financement extérieur des associations soit pernicieusement orientée, car elle cherche à les diaboliser et les accuser de servir des intérêts étrangers. Selon elle, le projet de loi en gestation vise surtout à restreindre le champ d’action des associations et à attenter à leur autonomie, voire à leur existence. Et ce sont celles spécialisées dans la défense des droits de l’homme qui s’opposent le plus fortement à ce projet de loi car elles sont convaincues qu’elles en sont les principales cibles dans le cadre de la politique de musellement de toute voix discordante poursuivie depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021.
Chasse aux sorcières ?
Mais si ces craintes sont fondées, on peut penser que les associations dont le financement ne souffre aucune ambiguïté n’ont rien à craindre du nouveau projet de loi, d’autant que la Ctaf, que le président ne cesse de presser de faire son travail de surveillance des flux de fonds transitant par les banques tunisiennes, n’a pas débusqué, jusque-là, beaucoup de financements étrangers douteux destinés à des associations locales. Sauf que le projet de loi, dont on ne sait pas grand-chose pour le moment, pourrait changer totalement la donne et ouvrir la porte à une véritable chasse aux sorcières. Et c’est ce que les acteurs de la société civile craignent à juste titre.
Quand on sait que beaucoup de ces associations rendraient l’âme si on leur coupe tout financement étranger, les financements intérieurs étant rares sinon inexistants, les craintes exprimées deviennent sérieuses. Et c’est la démocratie tunisienne, si démocratie il y a encore dans notre pays, qui en sortirait perdante.
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