Tunisie : Les limogeages amélioreraient-ils les services publics ?

Les limogeages sont sans doute nécessaires pour rappeler les agents de l’Etat à leurs responsabilités et leur signifier que le service public est un sacerdoce et un fardeau, et non un privilège ou un cadeau. Mais ces licenciements, pour autant qu’ils soient bien mérités, doivent être accompagnés de décisions au plus près des carences et des dysfonctionnements constatés, sinon ils risquent d’ajouter aux désordres constatés. (Illustration : la fuite dans la conduite d’eau de la Sonede. Photo publiée par la présidence de la république).

Imed Bahri

Le feuilleton des limogeages se poursuit et s’accélère. Dernière «victime» en date, le chef du district d’El-Manar (Tunis) de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede).

Le haut fonctionnaire a été démis de ses fonctions suite à une visite nocturne, effectuée samedi 29 juin 2024 par le président de la république Kaïs Saïed à la banlieue ouest de Tunis, où il a constaté la fuite de grandes quantités d’eau potable d’une conduite appartenant à la Sonede, comme l’a fait savoir, dimanche, la présidence de la république, qui a également ordonné l’ouverture d’une enquête judiciaire à ce propos.

Ce limogeage survient quarante-huit heures après celui de deux hauts fonctionnaires de la municipalité de Tunis, également à la suite d’une visite présidentielle, la veille, à des établissements relevant de leur responsabilité et où de graves manquements ont été notés.

Le verdict est déjà tombé

C’est le dernier d’une longue série qui va sans doute se poursuivre et peut-être s’amplifier, car le scénario rodé des visites présidentielles suivies de limogeages ne risque pas de s’arrêter là. Et pour cause : beaucoup de choses ne marchent pas dans le pays, et le gouvernement semble dépassé par l’ampleur des problèmes auxquels il doit faire face en même temps. Alors, en attendant que des solutions réelles et durables soient trouvées à ces problèmes, la «solution» trouvée dans l’immédiat est d’en faire endosser la responsabilité à quelques agents de l’Etat et de les renvoyer chez eux, une manière d’alimenter la vindicte du peuple contre ses élites – ici administratives – et d’apaiser un tant soit peu sa colère.

On attendra le résultat de l’enquête en cours pour savoir si la responsabilité directe du chef du district de la Sonede d’El-Manar est engagée dans le manquement observé par le chef de l’Etat, mais on constatera, au passage, que le verdict est déjà tombé et que le  concerné ne semble avoir aucune voie de recours.

On comprend la colère du président de la république, qui se juxtapose à une colère plus grande et plus profonde, celle des citoyens qui souffrent de la détérioration des services publics et désespèrent de voir des améliorations à l’horizon. Mais on ne peut s’empêcher de constater que la méthode des limogeages tarde à encore à donner ses fruits.

Un système de gouvernance

Les limogeages sont sans doute nécessaires pour rappeler les agents de l’Etat à leurs responsabilités et leur signifier que le service public est un sacerdoce et un fardeau, et non un privilège ou un cadeau. Mais ces licenciements, pour autant qu’ils soient bien mérités, doivent être accompagnés de décisions au plus près des carences et des dysfonctionnements constatés.

Il s’agit de comprendre pourquoi telle ou telle service ne marche pas et trouver des solutions structurelles et durables aux problèmes constatés. Sinon, on risque de voir les responsables publics, ainsi mis à l’index et désignés à la vindicte populaire, craindre pour leur avenir, se braquer davantage et s’interdire toute initiative dont ils risqueraient de payer cher les conséquences au cas où les choses tourneraient au vinaigre.

On ne change pas un système de gouvernance défaillant en changeant seulement les hommes et les femmes qui le composent. Ce sont ses méthodes, ses moyens et ses ressources qui doivent être révisés de manière à le rendre plus réactif, plus diligent et plus efficace, afin que les pannes, quand elles surviennent, comme la fuite d’eau constatée par le président de la république, soient rapidement constatées et réparées, de manière à réduire les désagréments pour les citoyens et les pertes pour la communauté nationale.