Dans ces «Pensées cauchemardesques à la veille du jour de vote», écrites à la veille du second tour des élections législatives en France, qui se déroulent ce dimanche dans l’Hexagone, sous la menace de l’accession au pouvoir de l’extrême droite xénophobe et hostile aux étrangers, l’auteur tente d’imaginer ce que serait la France sans étrangers ni binationaux. (Illustration: Que seraient les Bleus sans les Noirs ?).
Khémaïs Gharbi

En l’an 2027, un exode silencieux débuta en France. Ce n’était pas un départ forcé par la guerre ou une catastrophe naturelle, mais une migration calculée des étrangers qui, depuis des décennies, avaient enrichi le pays de leurs compétences et de leur travail. Les ingénieurs, médecins, infirmiers et hauts cadres, fatigués des incertitudes économiques et politiques, prirent la décision difficile de quitter leurs postes et leurs foyers pour chercher des terres plus accueillantes.
Dès les premiers départs, les effets se firent sentir de manière inexorable. Les hôpitaux, déjà sous pression, perdirent certains de leurs piliers. L’ajournement des opérations chirurgicales les plus urgentes devint courant, les patients devant attendre des mois faute d’anesthésistes ou de praticiens en nombre suffisant. Les écoles de tous les niveaux, autrefois florissantes, fermèrent les unes après les autres, incapables de maintenir leurs effectifs. Des quartiers autrefois vibrants se vidèrent lentement, transformant des rues animées en déserts urbains.
Crise identitaire sans précédent
Le marché immobilier, autrefois robuste, s’effondra. Les appartements et maisons, abandonnés par leurs propriétaires étrangers, s’accumulèrent sur le marché, faisant chuter les prix à des niveaux jamais vus depuis des décennies. Les agences immobilières, autrefois bondées, fermèrent leurs portes en masse. Des milliers de magasins de proximité, dépendant de la clientèle étrangère, baissèrent rideau, incapables de supporter la chute brutale de leurs revenus.
L’économie, jadis dynamique et diversifiée, ralentit à un rythme alarmant. Les délais d’attente pour acheter des équipements ménagers s’étendirent à plusieurs mois. Les usines, n’ayant plus la main-d’œuvre qualifiée suffisante pour répondre à la demande, tombèrent en faillite. L’achat d’une voiture devint un investissement à long terme, les chaînes de production peinant à fonctionner à pleine capacité sans leurs ingénieurs et leur main-d’œuvre étrangers. Les projets immobiliers neufs stagnèrent, laissant des chantiers abandonnés parsemer le paysage.
Combler le vide laissé par le départ des étrangers
Politiquement, la France se trouva confrontée à une crise identitaire sans précédent. Les débats sur l’immigration et l’intégration, qui n’ont jamais cessé, devinrent des sujets de division profonde au sein de la société. Les partis politiques se disputaient sur la meilleure manière de combler le vide laissé par le départ massif des talents étrangers.
Pendant des années, la France lutta pour se relever de ce départ massif. Les efforts pour attirer de nouveaux talents furent contrariés par une réputation ternie par l’exode précédent. Finalement, lentement mais sûrement, le pays se reconstruisit, apprenant des erreurs du passé et cherchant à créer une société moins hostile à l’étranger, plus inclusive et plus résiliente. L’exode massif des étrangers de France fut un chapitre sombre et douloureux de son histoire contemporaine, mais il servit également de leçon sur l’importance de la diversité et de l’ouverture dans une économie mondialisée.
Jour d’inquiétude pour les immigrés
Dans les quartiers familiers où les immigrés se rassemblent, une ambiance feutrée règne en ce jour crucial des élections législatives en France. J’ai entrepris une immersion pour comprendre l’état d’esprit de ma communauté, désormais enveloppée d’une incertitude palpable depuis le succès inattendu de l’extrême droite au premier tour.
La rue elle-même semble endormie, typique d’un dimanche matinal à Paris, où les habitants profitent de la tranquillité ou se dirigent vers les bureaux de vote. Les bistrots des quartiers deviennent des havres pour les discussions animées et les contacts avec des compatriotes vivant à l’étranger. Une quiétude olympienne imprègne la plupart des visages que j’observe. Pourtant, derrière cette apparence de calme, une inquiétude sourde se profile. Les regards sont scrutateurs, les gestes parfois nerveux trahissent des préoccupations profondes. Chaque mise à jour des taux de participation est accueillie avec une attention intense, révélant ainsi leur angoisse face à l’issue incertaine de ces élections déterminantes.
Seul un observateur averti pourrait capter les nuances subtiles : les non-dits, les gestes qui trahissent les sentiments dissimulés ou les espoirs inavoués. L’évolution du pourcentage de participation, surveillée heure par heure, contraste avec l’apparente sérénité affichée. À 13h30, le taux de participation est de 26%, prometteur pour certains mais insuffisant pour d’autres. L’après-midi semble s’étirer à l’infini, réaffirmant la théorie de la relativité temporelle dans l’attente angoissée de résultats qui pourraient redéfinir leur avenir ici.
C’est dans ce calme tendu que se joue l’avenir politique et social de nos communautés immigrées, où chaque minute compte et chaque pourcentage scruté résonne profondément dans les cœurs et les esprits de ceux qui se sentent aujourd’hui, plus que jamais, concernés par le destin collectif qui se dessine lentement à travers les urnes.
* Ecrivain et traducteur.