Le réformateur Masoud Pezeshkian élu président, alternance à l’iranienne!

L’Iran, puissance régionale au Moyen-Orient et protagoniste important sur la scène internationale, vient d’élire un nouveau président en la personne de Masoud Pezeshkian appartenant au camp réformateur et qui succède au conservateur Ibrahim Raïssi tué dans le crash d’un hélicoptère le 19 mai dernier. Quoique ces deux termes, en Iran, n’ont pas la même signification qu’ailleurs, un réformateur est juste moins dogmatique et moins sectaire qu’un conservateur.  

Imed Bahri

Les Iraniens ont ainsi fait le choix de l’alternance. Pazeshkian appartenant à la minorité azéri, chirurgien cardiaque de profession et prétendant avoir évolué sur les thèmes sociétaux affirme veut panser les plaies de son pays et le réunifier. Une mission qui n’est pas gagnée d’avance surtout que les conservateurs, puissants institutionnellement, ne le portent pas dans leur cœur. 

Le journal britannique The Observer, version du weekend du Guardian, s’est intéressé dans un article du rédacteur en chef diplomatique Patrick Wintour au profil du nouveau président iranien. L’auteur affirme que la victoire surprise du candidat réformateur Masoud Pezeshkian est autant un témoignage pour sa personnalité que pour sa politique. 

Le chirurgien cardiaque et ancien ministre de la Santé est apparu dans les débats télévisés comme un homme d’une grande intégrité et humilité qui voulait unir son pays divisé tant au niveau intérieur qu’extérieur.

En fin de compte, seule la crainte de ses adversaires quant à sa popularité continue aidera Pezeshkian à exercer son influence dans le dédale qu’est la politique notoirement multifactionnelle de l’Iran.

Gagner la confiance de la majorité silencieuse

Le nouveau président sera confronté à une tâche ardue. Même si la participation au second tour a été plus élevée qu’au premier tour, il s’agit du deuxième plus faible taux de participation des campagnes présidentielles iraniennes ce qui montre que de nombreux Iraniens restent sceptiques à l’égard des hommes politiques.

L’auteur estime que la vie de Pezeshkian a été marquée par la tragédie qui l’a façonnée. Sa femme qu’il a rencontrée alors qu’ils étudiaient en médecine et leur fils sont décédés il y a 30 ans dans un accident de voiture après avoir heurté un rocher sur la route près de Tabriz. Sa femme était médecin gynécologue et sa perte l’a si profondément affecté que, jusqu’à présent, les larmes lui viennent aux yeux chaque fois qu’il se souvient d’elle.

Pezeshkian ne s’est jamais remarié et a pris soin de ses enfants et les a élevés seul, il a appris à cuisiner et les a bien éduqués. Sa fille Zahra, portant un hijab et lui tenant la main, l’a accompagné sur le chemin pour enregistrer son nom à la présidence. Elle est titulaire d’une maîtrise en chimie et est perçue comme sa conseillère politique. L’homme parle plusieurs langues. Outre l’azéri et le persan, il parle kurde et arabe. Son père est azéri et sa mère est kurde.

Lors d’un débat télévisé, il s’est exprimé couramment en anglais et a cité la phrase d’Einstein selon laquelle «la définition de la folie consiste à faire la même chose encore et encore et à espérer des résultats différents».

C’était la deuxième campagne de Pezeshkian pour accéder à la présidence. L’homme est entré en politique pour la première fois en 2006 en tant que représentant de Tabriz, où il a construit sa base politique lors d’élections successives. Bien qu’il ait la langue acérée lorsqu’il s’en prend à la corruption et aux marchands de sanctions, son attitude générale est adaptée au rôle d’un coopérateur affirmant souvent qu’il s’en remettra aux experts sur la manière de résoudre les problèmes économiques du pays. Il a souvent laissé à ses partisans les attaques les plus virulentes contre l’opposition talibane.

Toutefois, il aura une tâche difficile à accomplir pour unifier le pays car ses rivaux conservateurs n’aiment pas être décrits comme des talibans par un réformateur qu’ils considèrent, lui et ses partisans, comme des agents de l’Occident et comme des gens qui ont capitulé face au contenu occidental sur internet.

Par conséquent, Wintour dit que Pezeshkian doit décider s’il doit se réconcilier avec les Gardiens de la révolution.

Pezeshkian est né en 1954 à Mahabad, une ville de l’ouest de l’Azerbaïdjan, une région à majorité azerbaïdjanaise et kurde. Il a toujours mis l’accent sur son héritage azéri. Bien que Mahabad soit une ville à majorité kurde, il a souvent insisté sur sa vision de l’Iran comme un État unifié et est partisan de la protection des droits des minorités comme moyen de préserver l’unité du pays.

À l’âge de 19 ans, il a effectué une période de conscription obligatoire sous le règne du Shah dans la ville de Zabul, considérée comme l’une des villes iraniennes les plus pauvres de la province du Sistan-Baloutchistan, une période qui a façonné sa conscience politique.

Il est retourné dans sa ville pour compléter sa formation médicale et a servi comme combattant pendant la guerre contre l’Irak. Après la guerre, il commence à exercer la médecine comme chirurgien cardiologue à Tabriz. En 1994, il assume le poste de directeur administratif de l’université et devient le représentant de Tabriz. Là, il a reconnu dans une vidéo publiée par ses ennemis avoir imposé le hijab et menacé d’expulsion de l’université quiconque refuserait de le porter.

Ne pas forcer les femmes à se couvrir la tête

Plus tard, il a déclaré que ses opinions avaient évolué depuis lors et qu’il s’est opposé à la répression des manifestations qui ont éclaté en 2019 en raison de l’augmentation des prix du carburant et aux manifestations de 2022 qui ont éclaté en raison de l’assassinat de la jeune femme Mahsa Amini dans un commissariat de police religieuse. Il a déclaré: «Les filles et les femmes sont parmi nous et ne sont pas des étrangères. Nous n’avons pas le droit de forcer les filles et les femmes concernant leurs droits de citoyenneté et nous ne pourrons pas forcer les femmes à se couvrir la tête.»

La police religieuse tente d’imposer le hijab avec plus ou moins de succès si l’on regarde la rue iranienne et une fois investi président, il devra faire face à l’épreuve du changement du climat de coercition.

Malgré les tentatives de ses opposants de le présenter comme un représentant de la continuité de la politique du président réformateur Hassan Rohani (prédécesseur d’Ebrahim Raïssi), il n’a pas travaillé dans le gouvernement de ce dernier, qui a duré huit ans. Il a plutôt été ministre de la Santé entre 2001 et 2005 sous la présidence de Mohammad Khatami. Il a tenté de se présenter aux élections de 2013 et 202. La deuxième fois il a été empêché par l’Assemblée d’experts de 12 personnes chargée d’examiner les candidatures, exclusion dont il avait demandé l’explication 

La nomination de Javad Zarif (ancien ministre des Affaires étrangères de Rohani, artisan de l’accord sur le nucléaire iranien et honni par les conservateurs) comme conseiller lui a été utile et lui a fourni un cadre d’analyse à travers lequel il a discuté des relations entre les pays, d’économie ainsi que de la nécessité de meilleures relations avec l’Occident. Cela l’a aidé à présenter son rival Saeed Jalili comme un partisan de «l’économie de siège».

Il a déclaré que pour atteindre un taux de croissance de 6%, «nous avons besoin d’investissements annuels d’une valeur de 200 milliards de dollars ce qui est impossible dans les circonstances actuelles et il est donc nécessaire de résoudre les problèmes internationaux». Traduire : résoudre le conflit de l’Iran avec les puissances occidentales.

Une nouvelle alternance s’ouvre donc en Iran et dont seul l’avenir dira si elle aura fait évoluer la donne sur le plan interne mais aussi régional et international ou bien si elle se heurtera aux limites inhérentes à la nature du régime théocratique iranien et surtout à la puissance du camp conservateur très enraciné dans le cœur des institutions de la république islamique d’Iran.

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