Je ne suis pas particulièrement un fan du président Kaïs Saïed. J’ai même toutes les raisons de ne pas l’être. Mais à l’approche des présidentielles je ne vois pas pour qui d’autre que lui je pourrais voter, et dans l’épidémie actuelle de «candidose» à la présidence que nous vivons, son retrait de la vie politique laisserait un vide catastrophique.
Dr Mounir Hanablia *
Dernièrement quelqu’un a eu cette réflexion pertinente sur la possibilité que Kaïs Saïed, tout comme l’avaient fait avant lui plusieurs présidents dans différents pays à travers le monde, choisirait des adversaires à la présidentielle à sa mesure; pour gagner les élections. C’est évidemment une hypothèse plausible, mais qui à mon avis ne cadre pas avec son tempérament. S’il voulait conserver à tout prix le pouvoir, avec tout l’attirail constitutionnel qu’il s’est forgé, avec l’appui populaire conséquent toujours acquis, il lui suffirait simplement de prolonger l’état d’urgence indéfiniment, et de renvoyer les élections aux calendes grecques. Cela ferait inévitablement une nouvelle fois les choux gras de la presse occidentale, mais Giorgia Meloni a démontré que l’Europe était désireuse avant tout de régler la question migratoire au mieux de ses intérêts.
L’autre idée qui vient à l’esprit, c’est que, tout comme l’avait fait Boris Eltsine, mais pour des raisons différentes, il se préparerait à tirer sa révérence, mais en laissant le pays entre des mains «sûres». Lesquelles? Évidemment celles qui avant tout ne lui demanderaient pas de comptes sur sa gestion du pouvoir et de l’autorité, autrement dit les forces politiques du 24 Juillet. L’acharnement contre ses opposants les plus virulents trouverait alors une explication logique. Mais Boris Eltsine, qui était notoirement corrompu, tout comme sa famille, avait laissé les rênes de son pays entre les mains fermes de Vladimir Poutine.
Une épidémie de «candidose»
Si on en juge par l’actuelle «candidose» dans notre pays, ce serait alors plutôt Zelenski que nous pourrions avoir pour président. Abstraction faite de la rancune que me porte un collègue, et du peu d’estime en lequel j’avoue le tenir, au point de considérer l’éventualité de son accession à la magistrature suprême plus comme une insulte à l’intelligence qu’une menace personnelle, je ne suis pas particulièrement un fan du président Kaïs Saïed. J’ai même toutes les raisons de ne pas l’être, après l’affaire du drapeau de la piscine, et l’incarcération depuis quelques semaines de l’un de mes cousins germains qui croupit dans une geôle en attendant d’être jugé, au désespoir de sa mère âgée et malade dont il s’occupait. D’aucuns, pour des motifs évidemment politiques, ont trouvé opportun de lui faire porter la responsabilité d’une organisation déficiente qui ne relevait pas de ses attributions normales et reconnues; en admettant évidemment que tout cette affaire où il n’aurait jamais dû être incriminé relève du pénal.
Je ne doute pas du patriotisme de Kaïs Saïed ni de son intégrité, mais ses excès sont parfois réels et ont des conséquences, et la lutte contre les coupables n’en justifie pas l’invention, quelles que soient les lois en vigueur. Et il y a quand même une différence entre un homme d’affaires détenu pour transiger auprès des banques sur des crédits qu’il ne rembourse pas, et un fonctionnaire dont, comme dans le jeu du maillon faible, ses compagnons ont jugé utile de se débarrasser en en faisant un coupable de substitution, et dont la détention prolongée n’obéit plus au souci de la vérité, mais à celui du respect de procédures judiciaires censées se situer au dessus de tous. Sauf que les dites procédures ne prévoient pas l’emprisonnement d’innocents sur la foi de témoignages inexacts ou de réticences à témoigner, d’une part, et d’autre part, la reconnaissance de l’innocence et la libération qui s’ensuit, ce dont ayant confiance dans la justice, je ne doute pas, ne restitueront jamais les souffrances occasionnées qu’une analyse sereine des faits eût dû éviter.
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Malgré cela et à l’approche des présidentielles je ne vois pas pour qui d’autre que Kaïs Saïed je pourrais voter, et dans l’épidémie actuelle de «candidose» à la présidence que nous vivons, son retrait de la vie politique laisserait un vide catastrophique. Non pas que ses choix économiques eussent été enthousiasmants. Mais dans la conjoncture actuelle, aucun président quel qu’il soit ne pourrait soustraire le pays à l’obligation de régler des dettes contractées par ceux qui l’avaient précédé. Et force est de constater que pour le moment, tant bien que mal, il y arrive, malgré les notes dépréciatives d’essence plus politique qu’économique des agences de notation souveraines. Sa politique en matière économique, imposition et planche à billets, est la seule possible dans un pays qui ne produit pas, où il n’y a pas d’investissement, où plus de la moitié de l’économie est informelle. Et il refuse résolument le diktat sioniste. Palliatifs, ses choix ont au moins le mérite de maintenir l’Etat en marche, en attendant une hypothétique reprise qui tarde à s’annoncer.
Certes Abir Moussi est en prison, mais en temps de guerre, et nul ne niera que nous le soyons même si elle est larvée, l’autorité politique ne peut pas se permettre le luxe d’une contestation sérieuse. D’autant que, malgré l’opposition qu’il avait étalée, le Parti destourien libre (PDL) paie aujourd’hui sa participation à la vie politique sous la férule du Parti Ennahdha et du Nidaa, tout en se situant actuellement, bon an mal an, en tant qu’allié objectif des opposants au président Saïed, à savoir le Front de salut national (FSN), même en essayant de s’en démarquer. De surcroît il paie le manque de jugement de sa présidente qui s’était abstenue, d’une manière un peu cavalière il faut le rappeler, de répondre à l’invitation qui lui avait été adressée pour un entretien au palais de Carthage. Ce sont là des choses qui ne s’oublient pas.
Des candidats «albicans»
Jusqu’à présent aucun programme de quelque candidat n’a évoqué les moyens de sortir du cercle vicieux de l’inflation et de la dette. Il y a donc une certaine mauvaise foi, et une mauvaise foi certaine, à accuser le président des turpitudes économiques actuelles. Et à lire un commentaire sur la page fb d’un des candidats «blanchâtres» à défaut d’être blancs comme neige (candidat «albicans») à la présidence rapportant qu’un trafiquant de drogue s’est enfui, qu’un haut responsable de la police judiciaire a été démis de ses fonctions en compagnie d’un conseiller du ministre de la Justice et de quatre magistrats, que la sécurité militaire est intervenue, il n’existe aucun motif de réjouissance quant à des rumeurs qu’aucune autre source n’a relayées. Et évidemment l’article 86 du code de l’information rend circonspect quant à l’éventualité de le publier. Si la rumeur s’avérait exacte, il n’y aurait de toute manière aucune satisfaction à en retirer.
Mais pour en revenir aux autres candidats à la présidence, occupés à réunir les voix qualifiantes, et se présentant comme les sauveurs de la patrie, que nous promettent-ils, sinon la révision de la Constitution, encore et toujours, le rétablissement du Parlement, qui a durant dix années tenu en laisse l’exécutif sans rien faire, et l’indépendance d’un corps judiciaire peu désireux de sanctionner ses membres, ainsi que cela fut le cas du temps du parti Ennahdha?
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Il faut reconnaître à ce parti politique le génie de la survie. Vainqueur des élections, il avait laissé à d’autres le soin d’assumer la responsabilité du gouvernement tout en en tirant les ficelles à l’arrière-plan. Il s’était métamorphosé en apôtre de la démocratie libérale, contre ses convictions les plus intimes demeurées intactes qu’il ne manquerait pas à la première occasion d’étaler sous la forme d’un projet sociétal réactionnaire, ou de laisser à d’autres le soin de le faire.
Ennahdha a essaimé sous forme de particules politiques purement formelles et d’agents dormant auxquels rien ne le lierait et à qui on ferait appel le cas échéant pour donner l’illusion de la coalition, de l’opposition, lorsque les conditions politiques l’exigeraient.
Le parti islamiste s’est révélé, il ne faut pas l’oublier, prêt à s’allier avec le diable ainsi qu’il l’avait fait avec Al-Karama et Qalb Tounes, pour conserver à tout prix le pouvoir. Les accusations lancées par Kaïs Saïed sur la participation des lobbys, pour dénuées de preuves qu’elles soient habituellement, paraissent donc dans le contexte de la candidose présidentielle, plausibles.
Lorsqu’un membre de la profession, habitué à voyager régulièrement à l’étranger aux frais de la princesse, qui a démontré dans le passé sa volonté d’interdire à des collègues dénonçant ses pratiques illégales l’accès de l’établissement où ils avaient l’habitude d’exercer avant son arrivée, quand ce confrère bien connu des plateaux télévisés s’invite aux élections présidentielles, il y a forcément anguille sous roche. D’aucuns prétendent que le pays a le cœur malade; ce serait évidemment alors plus d’un fongicide qu’il aurait besoin, que d’un stéthoscope.
Médecin de libre pratique.