L’assassinat par Israël d’Ismaïl Haniyeh alias Abou Al-Abd, chef du bureau politique du mouvement de la résistance palestinienne Hamas et ancien Premier ministre palestinien, dans la nuit du mardi 30 au mercredi 31 juillet 2024, fait suite à une liste établie par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu au lendemain du 7 octobre 2023 pour éliminer les dirigeants su Hamas et remise au Mossad, service de renseignements extérieurs israéliens. La question de la succession va se poser très rapidement et de par les mécanismes internes du Hamas, elle ne concernera qu’une poignée de dirigeants du mouvement.
Imed Bahri
Haniyeh, qui a été tué avec un garde du corps dans une résidence officielle iranienne, à Téhéran, alors qu’il était dans la république islamique pour assister à la cérémonie d’investiture du nouveau président Masoud Pezeshkian, est la seconde personnalité dans cette liste à être tuée après feu Saleh Arouri, numéro 2 du Hamas et son responsable pour la Cisjordanie, assassiné dans un raid israélien le 2 janvier dernier à Beyrouth.
Le Hamas a un long historique avec les assassinats ciblés israéliens qui ont essayé depuis des décennies de déstabiliser le mouvement palestinien mais qui a jusque-là pu s’inscrire dans le temps et transcender les générations.
Haniyeh vient de rejoindre la caravane des martyrs du Hamas parmi lesquels figurent Saleh Arouri, Ayman Naoufal, Ahmad Al-Ghandour, le fondateur et père spirituel du mouvement Cheikh Ahmed Yassine, Abdelaziz Al-Rantissi, Ahmed Al-Jaabari, Saleh Shehadeh, Nizar Rayen et l’icône de la résistance palestinienne Yahya Ayyash.
Avec l’assassinat par Israël de Haniyeh, il y a seulement une poignée de personnes parmi quelques noms haut placés dans le mouvement qui assumera le leadership dans cette période difficile. La direction du Hamas choisira parmi trois personnalités pour assumer le poste de chef du bureau politique en raison de la vacance du poste de chef adjoint du mouvement depuis l’assassinat de Cheikh Saleh Arouri au début du mois de janvier dernier car si Arouri était encore en vie, il aurait succédé de facto à Haniyeh mais comme il a été assassiné avant Haniyeh et qu’il n’a pas été remplacé depuis le mois de janvier, la succession va se jouer entre trois personnalités de premier plan.
Khaled Meshaal, Yahya Sinwar et Zaher Jabareen
Très probablement, la sélection se fera parmi les dirigeants des branches du mouvement à l’heure actuelle, à savoir Khaled Meshaal, chef du Hamas à l’étranger, Yahya Sinwar, chef du mouvement dans la bande de Gaza, ou encore Zaher Jabareen qui dirige actuellement le Hamas en Cisjordanie. En raison de la structure organisationnelle du Hamas, ces derniers occupent actuellement les plus hautes positions de direction du mouvement et font également partie du Bureau politique.
Le premier, Khaled Meshaal alias Abou Al-Walid, est né dans la ville de Silwad en Cisjordanie le 28 mai 1956, a rejoint les Frères musulmans en Palestine en 1971 et a joué un rôle dans la création du mouvement Hamas à l’étranger et précisément au Koweït où il a grandi et étudié. Il a été élu en 1996 à la tête du Bureau politique et est resté à ce poste jusqu’à ce que Haniyeh ne lui succède en 2017. Il a joué un rôle majeur dans la création des groupes du mouvement en dehors de la Palestine et a survécu à une tentative d’assassinat par empoisonnement menée par le Mossad en Jordanie en 1997 grâce aux pressions exercées à l’époque par le roi Husseïn de Jordanie et le président Bill Clinton sur Benjamin Netanyahu pour qu’Israël fournisse l’antidote. Netanyahu s’était résigné car le roi Husseïn avait menacé de prendre d’assaut l’ambassade d’Israël à Amman où s’étaient retranché le commando du Mossad.
Meshaal jouit d’une forte présence au sein du Hamas et est une personnalité bien connue du mouvement aux niveaux régional et international. Il a été élu à la tête du mouvement à l’étranger lors des dernières élections organisées par le Hamas. Seul hic, ses relations qui se sont dégradées avec les principaux partenaires du Hamas à savoir la Syrie et l’Iran au lendemain des printemps arabes en 2011. À l’époque, les relations entre le Hamas et le pouvoir syrien ont connu une profonde crise suite au refus du mouvement palestinien de le soutenir estimant qu’en tant que Palestiniens, ils n’avaient pas à prendre partie dans un conflit syro-syrien. Le mouvement transférera alors son siège à la capitale qatarie Doha. Il aura fallu le départ de Meshaal et l’alternance à la tête du Hamas pour que le réchauffement intervienne entre le Hamas et l’axe Damas-Téhéran et c’était Saleh Arouri, numéro 2 du mouvement, et Khalil Al-Hayya, responsable des relations arabes et islamiques, qui ont œuvré à cette réconciliation. Par conséquent, un retour de Khaled Meshaal à la tête du mouvement pourrait agacer les Syriens et les Iraniens.
La seconde personnalité qui pourrait succéder à Haniyeh est Yahya Sinwar qui est né le 29 octobre 1962 dans le camp de réfugiés de Khan Yunis et qui est le chef du mouvement Hamas dans la bande de Gaza. Il a été choisi pour la première fois lors des élections du mouvement en 2017 et il a été réélu en 2021. Il avait auparavant travaillé à la mise en place de l’appareil des forces de sécurité du mouvement au début de la première Intifada de pierre avant son arrestation par l’armée d’occupation. Ses années de détention lui ont permis de connaître parfaitement la mentalité israélienne et dirige d’une main de fer le mouvement à Gaza. C’est ce vrai dur qui est l’architecte de l’opération Déluge d’Al-Aqsa qui a humilié Israël et ses dirigeants et a battu en brèche la domination psychologique des Israéliens qui leur permettaient de conditionner les Arabes par la peur.
Cependant, l’insaisissable Yahya Sinwar, étant donné qu’il est dans la clandestinité, aura du mal à diriger tout le Hamas y compris à l’étranger. Ça serait logistiquement compliqué.
La troisième personnalité est Zaher Jabareen, né en 1968, dans la ville de Salfit en Cisjordanie. Il a rejoint le mouvement Hamas au début de sa création et est considéré comme l’un des fondateurs de sa branche militaire en Cisjordanie. Il a été arrêté à plusieurs reprises lors de la première Intifada palestinienne en 1987 et a ensuite été responsable de plusieurs opérations militaires contre l’occupation israélienne dans les années 90. Il a été arrêté en 1993 et condamné à la prison à vie, avant d’être libéré dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers conclu par le Hamas avec Israël en 2011. Il vit depuis à l’étranger et a été considéré par le Wall Street Journal comme l’argentier du Hamas.
Meshaal tient la corde
Cependant, la réalité de la situation sur le terrain surtout en temps de guerre peut pousser Khaled Meshaal à assumer la présidence du mouvement pour plusieurs raisons, la première étant en raison de son expérience précédente à ce poste mais aussi en raison des conditions dans la bande de Gaza qui complique la situation pour Yahya Sinwar. Quant à Jabareen, il assume le poste de leader du mouvement en Cisjordanie depuis seulement janvier 2024 en remplacement de Saleh Arouri.
Récemment, Meshaal est apparu aux côtés de Haniyeh lors d’une réunion tenue il y a quelques jours entre les dirigeants du Hamas et ceux du Jihad islamique en présence du secrétaire général Ziad Nakhalah et de son adjoint Mohammed Al-Hindi.
Depuis l’élection de Haniyeh à la tête de son bureau politique, le mouvement Hamas a maintenu sa présence en dehors des territoires palestiniens pour faciliter ses tâches, ses mouvements et sa participation aux visites organisées par le mouvement dans de nombreux pays et pour prendre part à des conférences ou et à des réunions liées au dossier palestinien et aux relations extérieures du mouvement. Il est donc probable que Meshaal soit choisi pour le poste. Toutefois, il devra faire preuve d’une extrême prudence et limiter les déplacements car lui-même est sur la liste israélienne des dirigeants du Hamas à éliminer. Le génocidaire Netanyahu veut rendre la vie impossible au Hamas quel que soit son dirigeant mais le mouvement palestinien, qui a connu bien des tempêtes et des temps durs, saura être résilient comme il l’a toujours été.