Gaza : Yahya Sinwar bat Benjamin Netanyahu

La guerre qui fait rage actuellement à Gaza est en train d’ébranler psychologiquement, militairement et politiquement Israël. C’est un changement de paradigmes et un renversement des rôles qui s’opère et la panique gagne les plus hautes sphères israéliennes. Décryptage. 

Par Imed Bahri

Dans l’article publié ici même dans Kapitalis samedi 23 décembre 2023 intitulé «Un militaire israélien: ‘‘J’urine sur moi-même chaque nuit’’», nous avons décortiqué comment l’image de force, de puissance et d’intimidation qu’a toujours voulu incruster Israël dans l’inconscient collectif arabe pour être craint s’effondre et qu’ainsi la manipulation psychologique israélienne du monde arabe en le conditionnant par la peur depuis des décennies vole en éclats depuis le 7 octobre.

Après cet aspect psychologique ô combien important, il convient maintenant d’examiner la situation militaire à Gaza et en cela l’exemple de la brigade Golani qui y a combattu du 27 octobre dernier -date du début de l’offensive terrestre- jusqu’au soir du jeudi 21 décembre est un exemple éloquent et fort révélateur de la situation. 

L’ancien commandant de la brigade Golani, le général Moshe Kaplinsky, avait révélé le dimanche 17 décembre sur la chaîne israélienne Keshet 12 (Canal 12) que la brigade avait perdue un quart de ses capacités, que le Hamas n’a pas été brisé et que la situation se compliquait lors des combats. 

Pour Israël, l’heure est grave

Kaplinsky, qui a été ancien commandant de la brigade Golani mais fut aussi chef d’état-major adjoint de l’armée israélienne, a déclaré lors de cet entretien que la brigade, considérée comme l’une des brigades d’élite de cette armée avait subi de lourdes pertes. Au moins 82 soldats et officiers de ses bataillons ont été tués, outre un grand nombre de blessés. Il a précisé qu’elle a commencé l’offensive terrestre le 27 octobre dernier en étant déjà amputée de 72 militaires qui ont été tués le 7 octobre lors du l’opération Déluge d’Al Aqsa lancée par le Hamas dans les territoires palestiniens occupés. 

Kaplinsky a souligné qu’il s’était rendu sur la base de la brigade Golani et avait rencontré le commandant du 13e bataillon de la brigade, le lieutenant colonel Tomer Greenberg quelques jours avant qu’il ne soit tué, à savoir le 12 décembre, avec 8 soldats dans un piège tendu par les commandants de la brigade Ezzeddine Al-Qassam (branche armée du Hamas) dans le quartier de Shujaiya à l’est de Gaza. Parmi ces 8 soldats tués, il y avait le fils de l’ancien chef d’état major de l’armée israélienne et actuel membre du cabinet de guerre Gadi Eizenkot.

Après l’interview de Kaplinsky, les analystes militaires ont compris que l’heure était grave et que le moment du retrait de Golani s’approchait parce que toute unité militaire s’approchant de la perte de 30% de ses capacités ne peut plus poursuivre les combats. 

Jeudi dernier 21 décembre au soir, soit 4 jours après l’interview de Kaplinsky, Tsahal a annoncé le retrait de la brigade Golani de Gaza. Les chaînes de télévision israéliennes ont montré les soldats de la brigade fêter le retrait en chantant et en dansant ce qui montre l’adversité à laquelle l’unité d’élite de Tsahal était confrontée.

L’exemple de la brigade Golani, unité qui a été de toutes les guerres israéliennes et qui a été fondée en février 1948 soit trois mois avant la création d’Israël, est très révélateur du fait que Tsahal souffre à Gaza et qu’elle s’est embourbée dans une guérilla urbaine sans fin à tel point que les plus hautes sphères politiques et militaires d’Israël ainsi que ses amis indéfectibles tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme.

Le Hamas désormais incontournable

Dans ce sens, l’ancien chef de gouvernement Ehud Barak, précédemment chef d’état-major de Tsahal, a comparé son pays dirigé par Benjamin Netanyahu au Titanic et que le départ de celui-ci était une urgence.

Un autre ancien chef de gouvernement, en l’occurrence Ehud Olmert, a non seulement appelé à la démission immédiate de Netanyahu mais à l’arrêt immédiat de la guerre et au début des négociations pour la libération des otages.

Plus explicite, l’ancien chef d’état-major Yaïr Golan a déclaré, dimanche 24 décembre, au journal de droite Maariv: «Les meilleurs de nos enfants se font tuer à Gaza sans aucun accomplissement ou même un objectif clair». Il estime qu’il est inévitable de parvenir à un accord avec le Hamas et avec aucun autre protagoniste car seul le Hamas peut les libérer.

Autre élément très important selon le général Yaïr Golan, qui estime que le Hamas a réalisé un objectif stratégique étant dans la posture de celui qui dirige le conflit. De ce fait, le Hamas -et de l’aveu même d’un haut gradé israélien- a changé les paradigmes. Il est passé ainsi de celui qui subit à celui qui fait subir. Les rôles se sont ainsi inversés. Et là, c’est un revirement stratégique dangereux pour Israël et une déculottée pour Benjamin Netanyahu.

Aux États-Unis également, les amis d’Israël s’inquiètent et c’est ainsi que l’éditorialiste de la politique étrangère du New York Times et grand partisan d’Israël Thomas Friedman a appelé sans plus tarder à ce qu’Israël sorte de Gaza et à ce que Washington fasse pression dans ce sens.

Tout ces gens en Israël et en Amérique qui appellent à la fin de cette guerre ne le font évidemment pas par pitié pour les Palestiniens qui subissent un génocide atroce mais parce qu’ils sont très inquiets pour Israël et son avenir.

Pour le moment, Benjamin Netanyahu fait le sourd et s’entête avec sa coalition d’extrême-droite à vouloir «liquider le Hamas» alors que la réalité du terrain indique que c’est impossible. Il recourt à la censure et à la propagande pour cacher la débandade.

Concernant le nombre des morts, personne ne croit les chiffres qu’avance Tsahal; cependant, les vrais chiffres qui sont cachés, personne ne peut les connaître mais la vérité finira par éclater.

Pour les blessés, il est plus compliqué à cacher la vérité et les indices apportent un démenti cinglant aux chiffres officiels. Il y a deux semaines, le Yediot Aharonot a affirmé qu’il y avait 5000 blessés dont 2000 handicapés. Rapidement, ils ont été obligés de retirer l’article par la censure militaire et Tsahal a communiqué un autre chiffre beaucoup plus dérisoire qui a été très contesté car ne correspondant pas au registre d’accueil des blessés dans les hôpitaux israéliens. Il y a quelques jours, la chaîne israélienne Channel 13 a annoncé que le nombre de militaires handicapés depuis le 7 octobre s’élevait désormais à 3000. Samedi soir, Tsahal a annoncé que toute information concernant la guerre ne pouvait être publiée qu’après sa validation, c’est dire que la vérité n’est pas en faveur des responsables israéliens et qu’ils préfèrent la cacher! 

L’armée israélienne dans un trou noir

Après presque trois mois de guerre, Benjamin Netanyahu a échoué à atteindre ses trois objectifs. Ni le chef du Hamas dans la bande de Gaza Yahya Sinwar n’a été éliminé, ni le Hamas n’a été liquidé ni les otages n’ont été libérés. Certains d’entre eux ont même été tués par des soldats israéliens !

En face, Sinwar a réussi trois exploits importants. D’abord, il a montré avec l’opération Déluge d’Al-Aqsa que les Palestiniens ne sont pas résignés, qu’ils n’ont pas peur d’Israël et de son armée, qu’ils peuvent même l’atteindre en profondeur et lui faire subir des pertes humaines et matérielles, et que maintenant c’est Israël qui subit et non plus qui fait subir. Ensuite, il a tendu un piège à Tsahal en la ramenant à Gaza et en la faisant entrer dans un trou noir dont elle ne sait plus comment s’en extraire. Et enfin, il a donné une leçon aux pays arabes qui ont été manipulés psychologiquement par Israël qui leur a fait croire qu’il était puissant et inébranlable et que les Palestiniens sont faibles et finis et qu’ainsi il fallait se rendre à la situation du fait accompli et reconnaître l’Etat hébreu. Sinwar a montré à ces pays que leurs calculs étaient complètement faux, qu’ils ne relevaient pas d’un quelconque pragmatisme politique mais d’une manipulation psychologique d’Israël. L’enfant de Khan Younes a ainsi atteint ses trois objectifs.

Les dirigeants israéliens aux visages fermés peuvent continuer tous les soirs dans leurs conférences de presse à le menacer mais celui qui est surnommé au sein de son mouvement Al-Akh Al-Qaïed Abou Ibrahim Al-Sinwar (le frère leader Abou Ibrahim Al-Sinwar) leur fait boire le calice jusqu’à la lie. Selon des sources, l’entourage de Netanyahu réfléchit sérieusement à une sortie de crise moins humiliante pour l’establishment israélien, en proposant à Sinwar et à Mohammed Deif, le chef militaire du Hamas, la possibilité d’être exfiltrés de Gaza et de se réfugier dans le pays de leur choix. Proposition qui, on l’imagine, n’a aucune chance d’être acceptée par les concernés.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.