Kamel Maddouri, nommé hier, mercredi 7 juillet 2024 à la tête du gouvernement est le cinquième chef de gouvernement depuis l’accès de Kaïs Saïed à la présidence de la république, fin 2019, après Elyes Fakhfakh, Hichem Mechichi, Najla Bouden et Ahmed Hachani. Que va-t-il apporter ?
Imed Bahri
Elyes Fakhfakh (27 février-2 septembre 2020) est resté en poste 6 mois et 6 jours. Hichem Mechichi (2 septembre 2020-25 juillet 2021) y est resté à peine un peu plus, soit 10 mois et 23 jours. Najla Bouden (11 octobre 2021-1er août 2023) est créditée de la meilleure longévité au poste, soit 1 an, 9 mois et 21 jours. Quant à Ahmed Hachani (1er août 2023-7 août 2024), sans doute le plus effacé des cinq, il n’a pas fait long feu lui non plus, puisqu’il est resté 1 an et 6 jours.
Fakhfakh et Mechichi : trop politiques
La présidence de la république n’explique généralement pas ses décisions lorsqu’il s’agit de nomination d’un Premier ministre ou de son limogeage. Cela est également valable pour les ministres. Mais on sait que pour Fakhfakh l’affaire de conflit d’intérêt qui l’a éclaboussé a été pour beaucoup dans son départ suite à une démission, sans doute exigée par le président Saïed, lequel avait mis son mandat sous le signe de la lutte contre la corruption. La justice innocentera par la suite Fakhfakh, mais l’ancien Premier ministre aura payé, entre-temps, ses démêlées avec le parti Ennahdha, qui faisait partie de la coalition gouvernementale.
Pour Hichem Mechichi, la cause était entendue dès les premiers jours de son investiture, puisqu’il éait entré en collision avec le chef de l’Etat et, dans le conflit qui opposait ce dernier aux dirigeants d’Ennahdha et Qalb Tounes, membres influents de la coalition gouvernementale, il a choisi celui de ces derniers, dont dépendait son maintien du Palais de la Kasbah. L’aggravation de la situation générale dans le pays suite à la pandémie de Covid-19 qu’il a très mal gérée a donné à Saïed l’opportunité de le limoger, de geler le parlement qui le soutenait et de proclamer l’état d’exception qui lui permit de prendre en main les principaux leviers du pouvoir.
Bouden et Hachani : pas assez politiques
S’agissant de Najla Bouden et Ahmed Hachani, qui étaient des serviteurs fidèles et zélés du locataire du palais de Carthage, ils parlaient peu et on les entendait à peine lorsqu’ils faisaient des déclarations. Leur limogeage tient au fait qu’ils n’ont pas donné satisfaction à celui qui les a nommés. Et pour cause : ils s’étaient montrés incapables de bien tenir en main une administration publique souvent récalcitrante et que le président ne cesse d’accuser, encore aujourd’hui, de saboter son projet politique. Hachani, dont la seule compétence reconnue sur la place de Tunis est la gestion des ressources humaines, n’a pas réussi à assainir les services de l’Etat des mauvaises graines comme ne cesse de l’y exhorter le chef de l’Etat.
Il faut dire aussi que Bouden et Hachani n’ont pas réussi à transformer leur indiscutable loyauté envers le chef de l’Etat en actions efficaces en faveur de son projet politique. Ils se sont contentés de gérer le quotidien avec les mêmes méthodes bureaucratiques éculées qu’ils ont apprises au sein de l’administration publique dont ils sont du reste tous deux issus. Bref, ils ont manqué de flair et de fibre politiques, pensant peut- être que la fidélité suffisait à les faire apprécier du «boss». Mais mal leur a pris puisqu’ils ont fini par décevoir et d’être démis d’une si haute fonction à laquelle ils n’auraient peut-être pas dû accéder. Le costume de Premier ministre était, décidément, trop grand pour eux.
Kamel Maddouri : la fibre sociale
Le nouveau Premier ministre Kamel Maddouri, qui occupait depuis mai dernier le poste de ministre des Affaires sociales, a le même profil que ses deux prédécesseurs. C’est un commis de l’Etat, qui était, avant son accession au gouvernement, Pdg de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et, auparavant, Pdg de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS). Natif de Téboursouk le 25 janvier 1974, il est titulaire d’un doctorat en droit communautaire et relations Maghreb-Europe, d’une maîtrise en sciences juridiques de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis 2. Il est aussi diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) et de l’Institut de défense nationale.
Au regard du président Saïed, qui ne cesse d’insister sur le rôle social de l’Etat, Maddouri présente des qualités certaines, celles d’un bon négociateur social. N’était-il pas membre du Conseil national du dialogue social, vice-président de la sous-commission de la protection sociale du même Conseil, ainsi que membre des conseils d’administration des trois caisses sociales. Il reste cependant à savoir si cela va suffire pour son maintien au poste après la présidentielle prévue pour le 6 octobre prochain et à laquelle le président Saïed est candidat, car, habituellement, les président de la république entament un nouveau mandat avec un nouveau Premier ministre. Sauf que Saïed a toujours surpris les commentateurs et les analystes que nous sommes par des décisions déroutantes qui font fi des normes et des mœurs politiques les mieux installées, en Tunisie et à l’étranger.