Tunisie : L’armée doit rester une ligne rouge

Il y a eu des moments, dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, où les acteurs politiques ont cherché à impliquer l’armée nationale dans la gestion de leurs conflits internes, mais celle-ci s’est toujours gardée de franchir le Rubicon, ce qui lui vaut d’ailleurs ce grand respect des Tunisiens dont les créditent souvent les sondages d’opinion.    

Ridha Kefi

Dans une tribune au journal ‘‘Le Monde’’ intitulée «En Tunisie, le scrutin présidentiel du 6 octobre constitue un test majeur pour l’armée», publié jeudi 5 septembre 2024, Kamel Jendoubi estime que l’élection présidentielle du 6 octobre 2024 sera une occasion, pour les militaires, de choisir entre soutenir la dérive autoritaire du pouvoir ou préserver le pluralisme, selon ses termes.

En appelant ainsi, à demi-mot, l’armée nationale à intervenir dans la vie politique, qui plus est à l’occasion d’une consultation électorale suscitant de grandes controverses, l’ancien président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et ancien ministre des Droits de l’homme franchit une ligne rouge qui a toujours été respectée, jusque-là, par tous les protagonistes politiques, et surtout par l’armée elle-même.

Cet appel est d’autant plus choquant que l’armée tunisienne a constitue une exception dans la région en ce qu’elle s’est toujours gardée de s’impliquer dans les conflits politiques et si elle est souvent sollicitée pour offrir un soutien logistique et humain lors des différents scrutins organisés dans le pays, comme le rappelle à juste titre M. Jendoubi, cela a toujours été fait dans un esprit de neutralité totale, puisqu’elle se contente généralement de veiller au bon déroulement des opérations de vote, surtout dans les zones les plus reculées ou les plus isolées du pays.

Il y a certes eu des moments, dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, où ce sont les acteurs politiques qui ont cherché à impliquer l’armée dans la gestion de leurs affaires, comme ce fut le cas au lendemain de la fuite de Ben Ali, le 14 janvier 2011, lorsque Mohamed Ghannouchi a expressément demandé au général Rachid Ammar de prendre les choses en main, lors d’une réunion le soir même au siège du ministère de l’Intérieur, mais celui-ci, parlant au nom de tous ses collègues, a formellement refusé d’aller plus loin que ce qu’il considérait comme sa mission première, à savoir protéger l’Etat, veiller à la paix civile et garder les frontières nationales.

Cette tradition républicaine instaurée par Bourguiba et scrupuleusement respectée après lui ne devrait pas être remise en question aujourd’hui quel que soit le prétexte invoqué : les conflits politiques doivent être réglés politiquement dans le plein respect du droit et dans le cadre des institutions républicaines, même quand il arrive à celles-ci, comme c’est le cas aujourd’hui, de s’emmêler les pinceaux ou de perdre le nord.