Amendement de la loi électorale : le pour et le contre

Le suspense était ténu et le match joué d’avance : le projet de loi portant amendement de certaines dispositions de la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et aux référendums, a été adopté, hier, vendredi 27 septembre 2024, sans coup férir, avec 116 voix pour, 12 voix contre et 8 abstentions. On ne peut cependant pas dire qu’il n’y a pas eu débat…

Imed Bahri

A l’Assemblée des représentants du peuple, lors de la séance plénière extraordinaire consacrée à l’adoption de ce projet de loi, il a été constaté un important clivage entre opposants et ‎favorables à l’amendement de la loi électorale… quelques jours seulement avant le scrutin présidentiel du 6 octobre. Et c’est, on le devine, ce qui a le plus choqué les opposants à l’initiative.

Ces derniers n’ont d’ailleurs pas manqué de rappeler, à l’appui de leur position, une déclaration faite à ce sujet par le président de la république Kaïs Saïed, un an avant la présidentielle de 2019, en s’opposant fermement à un projet de loi portant amendement de la loi électorale par une majorité au pouvoir. Il avait alors cité, à l’appui de sa position, le Général De Gaulle, sa référence absolue (après, bien sûr, Omar Al-Khattab).   

Péril en la demeure  

Les députés soutenant cette initiative législative ont insisté, lors du débat général, sur la nécessité pour le parlement d’assumer ses responsabilités face aux «menaces visant à déstabiliser le pays, sa sécurité et sa souveraineté nationale».

Ils ont appelé à l’union contre ce qu’ils ont qualifié de «danger imminent» perçu à travers des déclarations et communiqués allant jusqu’à remettre en cause l’intégrité des élections.

Ce «danger imminent» est incarné à leurs yeux par d’éventuelles décisions futures du tribunal administratif frappant de nullité les résultats du prochain scrutin présidentiel que le président sortant est assuré de remporter dans  coup férir.

Le député Hamadi Ghilani (hors-groupe) estime que «le parlement doit prendre les mesures nécessaires pour protéger le pays, suite à des déclarations dans les médias appelant au rejet des résultats du scrutin». Il a ajouté que «cette initiative législative ne changera pas les résultats des élections, mais il est impératif de contrer les plans visant à saper les institutions de l’État à travers des déclarations soutenues par l’étranger», selon ses propos.

Le député Saber Jelassi (bloc Al-Amana et Al-Amal) a déclaré : «Nous vivons un moment crucial de l’histoire de la Tunisie, et l’Assemblée doit agir. Le parlement doit remplir son rôle face aux menaces de faire imploser l’Etat de l’intérieur».

Le tribunal administratif dans le collimateur

Le député Jallal Khadmi (bloc Voix de la République) a affirmé que «le tribunal administratif est toujours respecté, mais lors du dernier contentieux électoral, il a dévié de son rôle en rendant certaines décisions, ce qui l’a transformée en un acteur politique dans un domaine qui relève de la compétence de l’Isie [la commission électorale], seule habilitée à accepter ou non les dossiers de candidature».

Le tribunal administratif, longtemps considéré comme le dernier garant de l’Etat de droit, même aux pires moments de la dictature de Ben Ali, est presque désormais désigné à la vindicte populaire comme une instance subversive qu’il va falloir mettre hors d’état de nuire, car elle risque de «faire imploser l’Etat de l’intérieur» (pas moins!)       

Ces déclarations incendiaires à propos de dangers imminents encourus par la nation ont poussé des députés opposés à la proposition de loi à appeler le président de la république d’assumer sa responsabilité en annonçant le report des élections par la promulgation d’une loi à cet effet, conformément à l’article 90 de la Constitution, s’il dispose d’informations prouvant l’existence d’un tel danger. Ils ont opposé leur refus total de modifier la loi électorale à quelques jours du scrutin présidentiel.

Plusieurs députés ont rappelé que la position du président de la république est claire quant à l’impossibilité de modifier la loi électorale durant l’année électorale, en plus du fait que les modifications des lois électorales ne peuvent être effectuées qu’en consultant le peuple par référendum.

Le député Hassan Jarboui (bloc des Libres) a déclaré : «Si le président de la république et chef suprême des forces armées estime qu’il y a un danger imminent, il peut activer l’article 90 de la Constitution et reporter les élections», se demandant pourquoi il est nécessaire de modifier la loi électorale dans des délais aussi courts, alors que 70 députés avaient demandé la tenue d’une séance plénière extraordinaire pendant les vacances d’été pour examiner d’autres projets de lois urgents, sans être entendus.

Le député Mohamed Ali (bloc Ligne nationale souveraine) a souligné que «cette initiative législative n’a aucun fondement constitutionnel ni juridique, et qu’elle est contraire à l’éthique électorale». Il a rappelé que le président de la république avait déclaré, lors d’une réunion avec le président de l’Isie en mars dernier, qu’il n’y avait aucune raison de modifier la loi électorale, et que le Conseil supérieur provisoire de la magistrature avait affirmé l’impossibilité de modifier cette loi durant la période électorale.

(Avec Tap).

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