Le 1er octobre 2024, l’Iran a frappé Israël avec au moins 180 missiles balistiques, marquant une nouvelle phase de tension dans la rivalité historique entre les deux nations. Cette attaque intervient dans un contexte d’escalade après l’assassinat de dirigeants du Hamas et du Hezbollah par Israël. La riposte iranienne, bien que mesurée, semble avoir été calculée pour préserver sa crédibilité et ses intérêts stratégiques tout en envoyant un message clair à Israël et à ses voisins.
Taoufik Ayadi *
Le 1er octobre 2024, le conflit latent entre Israël et l’Iran a pris une tournure spectaculaire avec une frappe iranienne massive sur des cibles israéliennes. Utilisant exclusivement des missiles balistiques, Téhéran a voulu non seulement répondre aux assassinats de figures clés du Hamas et du Hezbollah, mais aussi démontrer sa capacité à projeter sa puissance militaire à longue portée. Cette frappe marque une escalade importante dans les tensions régionales, et pose des questions sur la manière dont Israël et ses alliés, notamment les États-Unis, vont réagir face à cette démonstration de force iranienne.
I. Une réponse iranienne mesurée mais ambitieuse
a) Un retour sur la scène militaire après des mois de silence
Pour comprendre l’attaque iranienne du 1er octobre 2024, il est essentiel de revenir sur les événements qui l’ont précédée. Depuis le début de l’année, l’Iran avait évité toute réponse directe aux provocations israéliennes, notamment après l’assassinat d’Ismail Haniyeh en juillet et de Hassan Nasrallah en septembre.
Cependant, Téhéran a ressenti le besoin de réagir, à la fois pour affirmer son rôle de leader régional et pour calmer les doutes au sein de ses propres alliés, comme le Hamas et le Hezbollah, qui commençaient à questionner l’engagement iranien après la série d’assassinats ciblés menés par Israël.
Cette frappe est une continuité des événements d’avril 2024, lorsqu’Israël avait mené une frappe sur le consulat iranien à Damas, déclenchant une réponse iranienne de 120 missiles de croisière et drones. Cette fois-ci, en augmentant le nombre de missiles balistiques à 180, Téhéran semble vouloir démontrer sa capacité de frappe accrue, tout en conservant une approche mesurée, sans utilisation de drones ou de missiles de croisière plus facilement «interceptables» par la défense israélienne.
b) La montée en puissance des capacités balistiques
L’Iran, en choisissant de n’utiliser que des missiles balistiques, a voulu envoyer un message clair : il est capable de frapper Israël avec une puissance de feu croissante, tout en évitant les tactiques trop facilement contrées par les systèmes de défense israéliens. Le passage de 40 missiles en janvier 2020 (après l’assassinat de Qassem Soleimani), à 120 en avril 2024, puis à plus de 180 en octobre 2024, montre une évolution stratégique significative.
Cette montée en puissance s’accompagne d’une démonstration de la capacité de l’Iran à tirer simultanément un grand nombre de missiles, potentiellement jusqu’à 300 lors de futures attaques, mettant ainsi à l’épreuve la défense israélienne et ses capacités d’interception.
Cette évolution pose une question cruciale : l’Iran cherche-t-il à atteindre un seuil de saturation des défenses israéliennes? En ciblant cette fois-ci des zones visibles par la population et les médias, plutôt que des installations militaires isolées, Téhéran semble vouloir renforcer la perception publique de sa capacité de dissuasion.
c) Un avertissement aux voisins et une affirmation de la dissuasion conventionnelle
L’attaque du 1er octobre n’était pas seulement destinée à Israël. En ne prévenant aucun de ses voisins, contrairement à l’attaque d’avril, l’Iran semble vouloir afficher sa détermination à agir indépendamment des pressions régionales. En revanche, les États-Unis auraient été informés, bien que tardivement, ce qui montre une volonté de Téhéran de maîtriser l’escalade dans la région.
La cible principale de cette attaque est la crédibilité d’Israël et sa capacité à assurer sa défense sans un soutien américain direct. L’Iran, en faisant preuve de retenue en évitant de frapper le nord d’Israël, près des frontières libanaises, semble vouloir séparer cette opération des tensions avec le Hezbollah, se concentrant plutôt sur la démonstration de sa capacité à projeter sa force à longue distance.
II. Israël entre silence stratégique et dilemme militaire
a) Un taux d’interception préoccupant
Contrairement à l’attaque iranienne d’avril 2024, où Israël avait largement communiqué sur le succès de ses systèmes de défense, cette fois-ci, le silence est de mise. Selon certaines sources, le taux d’interception des missiles iraniens n’aurait été que de 65%, bien inférieur aux attentes israéliennes. Cela signifierait que plus de 60 missiles ont échappé aux systèmes de défense, représentant une menace considérable pour la sécurité nationale israélienne.
Cette situation pose un défi majeur pour Israël, qui doit gérer à la fois l’impact psychologique de cette attaque sur sa population et la pression internationale pour éviter une escalade majeure. Si la riposte israélienne est inévitable, les choix stratégiques sont complexes et risqués.
b) L’assistance américaine limitée : un message diplomatique ?
L’intervention américaine lors de cette attaque, bien que présente, a été relativement discrète. Les États-Unis n’auraient mobilisé que deux destroyers antimissiles, neutralisant une douzaine de missiles iraniens les plus dangereux. Cette assistance minimale pourrait s’expliquer par la volonté de Washington de ne pas s’impliquer directement dans une escalade qui pourrait compromettre tout projet éventuel de négociations avec l’Iran sur la question nucléaire.
Cela envoie également un signal à Israël : sans l’aide américaine, la capacité de l’Etat hébreu à se défendre face à une attaque massive iranienne pourrait être compromise.
Ce soutien restreint pourrait indiquer une volonté des États-Unis de maintenir l’Iran dans une position où il reste disposé à entrer dans des pourparlers sur son programme nucléaire, tout en rappelant à Israël qu’une riposte disproportionnée pourrait compromettre ces efforts diplomatiques. Surtout que le nouveau président Massoud Pezeshkian a appelé dès son élection fin juillet dernier à des «relations constructives» avec Washington et les pays européens afin de «sortir l’Iran de son isolement».
III- Quel avenir pour la riposte israélienne ?
a) Les options stratégiques d’Israël
Face à cette attaque, Israël dispose de plusieurs options pour riposter. La première option consisterait à mener des frappes ciblées sur des figures clés du régime iranien, une stratégie de «décapitation» déjà utilisée par le passé. Cependant, une telle réponse serait perçue comme une escalade majeure, risquant de provoquer une guerre ouverte entre les deux nations. Les États-Unis, bien qu’engagés aux côtés d’Israël, pourraient hésiter à soutenir une telle initiative sans garanties de contrôle de l’escalade.
La deuxième option pour Israël serait de frapper des cibles militaires symboliques en Iran, telles que des installations liées au programme nucléaire ou balistique. Cette approche, bien que moins risquée en termes d’escalade, enverrait un message fort à Téhéran tout en limitant les pertes humaines et les répercussions régionales immédiates.
Enfin, la troisième option serait de cibler l’infrastructure économique iranienne, notamment les installations pétrolières et gazières. Cette stratégie pourrait affaiblir l’économie iranienne à long terme, mais elle risquerait également de provoquer une réaction internationale, notamment de la part des puissances dépendantes des exportations énergétiques iraniennes.
b) Les dilemmes israéliens face à une riposte
Chaque option comporte ses propres dilemmes. Le premier concerne la nécessité d’obtenir un feu vert des États-Unis avant d’agir. Une riposte sans l’accord américain pourrait isoler Israël sur la scène internationale, tout en compliquant ses relations avec Washington. Le second dilemme est le risque de pousser l’Iran à franchir un nouveau cap, notamment en quittant le Traité de Non-Prolifération (TNP) pour développer des armes nucléaires. Une riposte trop sévère pourrait ainsi précipiter une course à l’armement nucléaire dans la région, avec des conséquences imprévisibles.
Escalade inévitable ou opportunité pour la diplomatie ?
La frappe iranienne du 1er octobre 2024 marque un tournant dans les tensions régionales, avec une démonstration claire des capacités militaires de Téhéran. Israël, bien que contraint de riposter, devra peser soigneusement ses options pour éviter de provoquer une escalade incontrôlable. En arrière-plan, la question du nucléaire iranien reste un facteur clé. Washington, tout en soutenant Israël, privilégierait le maintien d’un dialogue constructif avec Téhéran, une démarche que la riposte israélienne pourrait facilement compromettre.
La question demeure : cette attaque iranienne ouvrira-t-elle la voie à une nouvelle phase de confrontation, ou bien encouragera-t-elle une reprise des négociations dans un contexte de tensions croissantes? Seul le temps nous le dira.
* Capitaine de Vaisseau Major (r)
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