Dans sa pseudo-guerre contre l’islam politique, le très conservateur président Kaïs Saïed, un islamiste qui avance masqué, serait sans doute plus crédible s’il procédait à la fermeture de toutes les officines promouvant le radicalisme religieux qui ont essaimé en Tunisie au cours des dix années de pouvoir du parti islamiste Ennahdha. Pourquoi ne le fait-il pas ? Esquisse de réponse…
Par Imed Bahri
Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), multiplie depuis deux ans les actions spectaculaires (sit-ins, manifestations, grèves de la faim, procès…) pour appeler les autorités à fermer les locaux en Tunisie de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), dépendant de l’organisation terroriste internationale des Frères musulmans et financée par le Qatar, sans aucune réaction de la part des autorités publiques, à commencer par le président de la république, qui fait semblant de n’être au courant de rien, et dont le frère, l’universitaire Naoufel Saïed, maintient des liens avec certains des membres de cette organisation créée par le prédicateur radical Youssef Qaradawi, dont les appels au jihad au nom de l’islam sont de notoriété publique.
Le laxisme de l’Etat face au radicalisme religieux
Plus récemment, Houssem Hammi, coordinateur général de la coalition Soumoud, a attiré l’attention sur les quelque 4 000 associations et écoles coraniques échappant à tout contrôle de l’Etat.
Lors d’une conférence sur les risques sociaux de radicalisation et d’extrémisme organisée par ladite coalition, lundi 13 juin 2022 à Tunis, M. Hammi a critiqué le «silence» de la présidence de la république face aux activités «incontrôlées» des écoles coraniques qui se répandent sur tout le territoire de Tunisie, bien qu’elles aient réduit leurs activités après la proclamation des mesures exceptionnelles, le 25 juillet 2021.
Tout en insistant sur la nécessité de contrôler les activités de ces organisations et d’enquêter sur leurs sources de financement, Houssem Hammi a mis le doigt sur les liens étroits entre les écoles coraniques, les associations dites caritatives et l’UIOM, et leur rôle dans la propagation du radicalisme religieux voire du terrorisme en Tunisie, la ligne de démarcation entre les idées obscurantistes et les violences religieuses étant difficile à tracer. «Seuls une trentaine d’agents relevant des ministères compétents sont chargés de contrôler la nature des activités de ces institutions que représentent les écoles coraniques et religieuses et la section tunisienne de l’Union des oulémas musulmans», a-t-il précisé, en recommandant de charger un seul département ministériel d’octroyer les autorisations à ces organisations et d’instaurer un contrôle «sérieux et efficace» sur leurs activités.
La coalition Soumoud travaillera, en collaboration avec les organisations nationales et les partis politiques, à élaborer des recommandations pour faire face aux dangers pouvant découler des activités de ces organismes, a encore déclaré M. Hammi.
Les autres participants à la conférence ont axé leurs interventions sur les mécanismes de polarisation des takfiris, la situation de l’éducation dans les écoles coraniques et les moyens de faire face à l’éducation coranique incontrôlée. Ils ont recommandé d’élaborer une stratégie nationale de lutte contre l’extrémisme, appelant l’État à assumer son rôle dans la protection des jeunes contre ce fléau.
Une stratégie d’enrôlement des islamistes
Il est tout de même inquiétant de constater que ces thématiques ne font pas partie des préoccupations de M. Saïed, qui accapare actuellement tous les pouvoirs en Tunisie, et qui ne fait rien contre la propagation de l’extrémisme religieux dans le pays. Au contraire, il joue lui-même sur la fibre religieuse de la population dans une stratégie électoraliste, qui saute aux yeux.
Il fut d’ailleurs un temps où M. Saïed, qui aime afficher sa piété, assistait systématiquement aux prières du vendredi et se mêlait aux fidèles, en changeant chaque semaine de mosquée, habitude qu’il semble avoir abandonnée sur les recommandations des unités chargées de sa protection.
Ses positions sur les questions de société, qui sont plutôt conservatrices, trahissent chez lui une volonté évidente d’enraciner les lois de la république dans la charia islamique. Le niet catégorique qu’il a opposé à une loi instaurant l’égalité de genre dans l’héritage, qui plus est en évoquant la charia, qu’il situe au-dessus des lois, est très significatif à cet égard.
Et cela en plus de sa manie de se référer tout le temps dans ses discours à la tradition islamique qui n’est pas calculée – comme elle le fut chez Bourguiba et Caïd Essebsi – dans une stratégie de communication visant à tirer le tapis sous les pieds des conservateurs, mais totalement spontanée et assumée comme un choix idéologique.
De là à penser que Kaïs Saïed n’a pas de problème avec les islamistes en général et les Nahdhaouis en particulier, qu’il cherche d’ailleurs à enrôler sous sa bannière lors des prochaines élections, mais qu’il veut surtout détruire Ennahdha et marginaliser ses dirigeants, dans une logique d’accaparement du pouvoir, il y a un pas que beaucoup d’analystes font désormais volontiers. Et ils n’ont pas totalement tort.
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