La France d’Emmanuel Macron avait rendez-vous avec le Maroc de Mohammed VI. Une visite étalée sur trois jours. Et paradoxalement un aspect précipité ressort de son bilan. La philosophie macroniste du «en-même temps» est bien connue en France. Le temps semble s’être suspendu, il y a quelques jours, en terre marocaine. Entre un gouvernement local obséquieusement méthodique et une délégation française frénétique, bigarrée et disparate. Pour quel résultat, au-delà des accords d’une valeur de 10 milliards d’euros agités par les deux parties ?
Jean-Guillaume Lozato *
Dès l’arrivée sur le tarmac, on sentait bien que quelque chose ne tournait pas rond en observant les représentants de la patrie des droits de l’Homme. La disharmonie de la liste d’invités, ajoutée à l’incongruité de certaines présences. Ce qui ressemblait à un casting d’un éventuel remake du film ‘‘Dîner de cons’’ a atteint son paroxysme par l’intermédiaire d’un maître de cérémonie défavorablement connu de la Justice : Yassine Belattar. Un humoriste bien connu pour ses positions jugées radicalisées sur le plan religieux, et pour avoir proféré des menaces de mort.
Ce contraste avec le faste du palais royal est du plus mauvais goût de la part du plus haut représentant de l’État français. En sa qualité d’incendiaire en chef, le président Emmanuel Macron a recruté là le pyromane idéal pour réactiver les braises de la défiance franco-maghrébine.
Pourquoi ne pas avoir plutôt cherché à miser sur les capacités de Rachida Dati, ministre de la Culture, laquelle a eu le bon goût de lâcher «nous sommes inséparables» à propos de la relation entre ses deux pays de cœur. Une déclaration qui revêt nettement plus de classe que le niveau général de la délégation bleu-blanc-rouge.
Foire, failles et méconnaissances
Concrètement, des avancées significatives se sont matérialisées avec la confirmation de contrats paraphés à hauteur de plus de 10 milliards d’euros. Il est vrai que France et Maroc représentent deux puissances touristiques et que Marrakech est une ville réputée pour le fait qu’on y entende parler autant arabe que français. Puis le dossier du Sahara Occidental a été abordé et la position marocaine soutenue par le président français en exercice, lors d’échanges orchestrés dans les deux langues vivantes en présence.
Cependant, ce bilinguisme de façade ne reflète pas forcément un langage commun quant aux expectatives. L’entrée dans le débat de la problématique des laisser-passer consulaires est symptomatique des errements en matière de négociations, avec le problème sous-jacent mais récurrent de l’immigration. Une immigration représentée par un certain nombre de personnes d’origine maghrébine, notamment marocaine, dans l’entourage d’Emmanuel Macron. Dati et Belattar, précédemment cités, en font partie. Tout comme Mounir Mahjoubi et M’Jid El Gherrab (condamné pour violences). Sans oublier Alexandre Benalla, dont le nom rappelle qu’il s’agit là d’une liste hétéroclite et rendue hautement inflammable. Une question se pose : Belattar sera-t-il le nouveau Benalla?
Les prédécesseurs à la fonction présidentielle comme Charles de Gaulle, Jacques Chirac et à un degré moindre François Mitterrand avaient dans leurs bagages intellectuels une plus grande subtilité envers le monde arabe. L’actuel locataire de l’Elysée n’a apparemment pas cette faculté de compréhension. Non pour des raisons exclusivement cognitives. Pour des motifs d’ordre culturel au sens large. Ou plutôt au sens complet du terme.
À l’image de Don Quichotte errant devant une succession de moulins à vent, Don Macron semble ne pas savoir où planter sa hallebarde, devenue de plus en plus encombrante au point de se muer en fléchette de soulagement plantée au hasard un peu partout.
Les bouffons du roi
Transposant ce fameux «en même temps» de l’Hexagone à l’Afrique du Nord en faisant quelques haltes dans les esprits qataris. Résultat : les tentatives maladroites de rapprochement avec l’Algérie se sont soldées par de nouvelles déconvenues; se rabattre sur le Maroc place l’État français dans une position de quasi mendicité en matière de rayonnement vis-à-vis de sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui dispose de plusieurs cartes désormais et dont l’image a éclipsé l’amateurisme – ou jemenfoutisme ? – présidentiel français ponctué par la longue interview sur la chaîne marocaine 2M, ressemblant à une vague note de synthèse en réunion d’entreprise.
La France est une terre de grands écrivains, de politiciens jadis habiles, avec des institutions universitaires reconnues partout dans le monde, des découvertes qui ont animé la recherche scientifique à bien des époques, le Code Civil et une langue à vocation diplomatique de premier plan. Actuellement apparaît le risque d’une perte de son emprise. Elle est subitement devenue un capharnaüm d’amuseurs publics, de troubadours pathétiques, de… bouffons du roi ne faisant rire aucunement les médiévistes. Car il s’agit là non pas de burlesque, mais de grotesque.
Si Macron voulait absolument axer son pédagogisme sur l’humour, les apports d’une personnalité comme Sami Ameziane, plus connu sous son nom de scène «Le Comte de Bouderbala», auraient été d’une utilité plus certaine. Seulement, ce dernier, bien que polyglotte et cultivé en apparence, a une caractéristique jugée rédhibitoire : être d’origine algérienne, qui plus est kabyle ce qui a vocation à entraîner la polémique dans le contexte général actuel.
Quant à la Tunisie, il semblerait qu’elle soit reléguée dans les fonds amnésiques. Cet opportunisme coûtera cher à l’influence française dans le Grand Maghreb, et par extension dans toute la sphère arabophone. La relation entre France et Maroc ne se limite pas à un sketch de Jamel Debbouze et de son Jamel Comedy Club. Ou à une saillie humoristique de Booder. Le Maghreb n’est pas qu’un souk du rire.
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