L’achat de BTA par les banques et le volume du cash en circulation hors des banques contribuent à l’assèchement des liquidités dans le secteur bancaire et compromettent le financement des entreprises et de l’investissement en général.
Par Khémaies Krimi
Les liquidités bancaires, moyens de financement disponibles sans délai de mobilisation pour l’entreprise, se font rares depuis quelques années. Chefs d’entreprises et observateurs de l’économie du pays déplorent le phénomène, en font assumer la responsabilité au gouvernement et proposent des pistes pour y remédier.
Lors de récents entretiens avec les médias, le nouveau président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce de l’artisanat (Utica, centrale patronale), Samir Majoul, n’est pas allé par quatre chemins, en stigmatisant la concurrence déloyale que l’Etat livre aux chefs d’entreprises sur le marché monétaire pour la levée de fonds de financements (liquidités). Pour lui, le gouvernement «émet des bons de trésor assimilables ou BTA (8 milliards de dinars tunisiens en 2016) et va se faire refinancer auprès des banquiers devenus des usuriers qui le ponctionnent au TMM+3» (refinancement auprès de la Banque centrale de Tunisie). Et M. Majoul d’utiliser, avec beaucoup d’humour, une image qui illustre de manière éloquente cette concurrence déloyale : «Quand nous allons le matin demander des liquidités aux banques, on nous dit que le camion de l’Etat est passé et qu’il ne reste plus rien». C’est ce qui explique, d’après lui, l’assèchement d’une des principales ressources de financement de l’entreprise et par conséquent le recul de l’investissement.
Samir Majoul plaide pour la formalisation de l’informel.
L’émission des BTA créent une masse monétaire fictive
Le relayant, Walid Ben Salha, expert comptable et fin analyste des finances tunisiennes, estime que cette vampirisation des liquidités par le gouvernement, aux fins de payer les salaires et de financer d’autres dépenses de l’Etat, est un phénomène improductif et même nocif pour l’économie du pays dans la mesure où elle n’est pas accompagnée par une véritable création de richesses. «Cette opération, se traduit, relève-t-il, par la création d’une masse monétaire scripturale fictive. Un tel phénomène affecte considérablement la valeur du dinar tunisien et le pouvoir d’achat des citoyens».
La pénurie des liquidités s’explique aussi par l’ampleur du volume des billets de banque et de monnaies en circulation (cash), hors du circuit structuré. Selon M. Ben Salha, ce volume «a atteint, fin décembre 2016, un nouveau pic de 10.231 millions de dinars (MDT) en augmentation de 16% par rapport à 2015, représentant quasiment le double de celui de décembre 2010». Il serait, actuellement, d’après Samir Majoul, de l’ordre de 12.000 MDT (12 milliards de dinars).
Dans les deux cas, l’achat de BTA par les banques et le volume du cash en circulation hors des banques contribuent à l’assèchement des liquidités dans le secteur bancaire et compromettent, sérieusement, le financement des entreprises et de l’investissement en général.
La recette de Samir Majoul
Pour remédier à cette situation, le patron des patrons propose au gouvernement deux solutions.
La première concerne la monnaie locale : il propose de la changer dans le but d’«obliger tous ceux qui ont de l’argent en dehors du circuit formel, dans les bas de laine, dans les matelas, dans les coffres forts, sous le sol ou enfouis quelque part, de le sortir et de le déposer dans les banques pour le changer». «Une fois cet argent déposé dans les banques, ajoute-t-il, il ne faut plus le leur remettre qu’à la seule condition de disposer d’un carnet de chèque, d’une carte de crédit ou d’un virement».
M. Majoul a tenu, néanmoins, à préciser que les seuls services qu’on doit rendre à ces gens, c’est de ne pas leur dire d’où provient cet argent et de crédibiliser les modes de paiement par chèque et par lettres de change (traites).
Parmi les autres conditions à réunir, le président de l’Utica a cité l’urgence de disposer d’une justice indépendante et de moderniser l’administration et de la débureaucratiser.
La deuxième solution concerne les devises qui circulent en dehors du circuit formel. Leur montant serait, d’après M. Majoul, plus important que celui dont dispose la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Là aussi, il propose le même scénario: «Tout tunisien qui dispose de devises sera autorisé à ouvrir un compte en devises et à le gérer librement sans qu’on lui dise d’où est-ce que ces devises proviennent».
Le patron des patrons est persuadé qu’à travers de ces deux décisions, le gouvernement va adresser un message aux «informalistes» et encourager la formalisation tant souhaitée de l’économie du pays.
Cette «formalisation» sera perceptible, selon lui, à travers l’élargissement de l’assiette fiscale par l’effet de l’intégration de l’informel dans le secteur structuré et à travers l’augmentation des cotisations aux caisses de sécurité sociale.
M. Majoul, reprend ainsi à son compte le dossier de la formalisation de l’économie du pays, qui était si cher à l’équipe de son prédécesseur, Ouided Bouchammaoui. Il est parvenu, d’ailleurs, à l’inscrire dans la nouvelle feuille de route de Carthage pour la prochaine période et à y engager le gouvernement et le reste des contractants.
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