Dans ce billet, l’auteure réagit, en tant que citoyenne, mère, enseignante, au décès accidentel, hier, lundi 14 avril 2025, de trois élèves de 18 et 19 ans dans l’effondrement d’un mur d’enceinte de leur lycée à Mezzouna dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, drame qui a bouleversé tous tout un pays.
Hanen Ghanmi *
La vie s’est arrêtée ce matin. Trois rires, trois destins, trois étoiles éteintes sous les décombres d’un passé qui n’aurait jamais dû ressurgir. Je suis citoyenne, mère, enseignante… et aujourd’hui, je ne suis plus que douleur, mêlée à la poussière des pierres qui ont volé vos rêves.
Citoyenne, je regarde cette ville qui vacille. Les murs fissurés par l’indifférence, les cris étouffés par l’oubli. Comment avons-nous pu laisser mourir l’avenir dans l’indolence ? Les rapports alertaient, les parents suppliaient, les enfants passaient chaque jour sous l’épée de Damoclès d’un mur oublié. Et nous, nous, avons détourné les yeux.
Mère, je cherche vos visages dans la foule silencieuse. Trois garçons qui auraient dû courir vers leurs examens, leurs premiers amours, leurs espoirs. Je pense à vos mères, dont les bras tremblent maintenant de vide. Leur souffle est un cri rauque, un «Pourquoi eux ?» qui déchire le ciel gris.
Enseignante, je ferme les manuels. À quoi bon les équations, les poèmes, les leçons de vie, quand la vie elle-même est ensevelie? Hier encore, je leur parlais d’architecture, de solidité, de construire l’avenir. Aujourd’hui, l’ironie me mord l’âme : c’est un mur d’hier qui a tué leur avenir.
Je les imaginais ingénieurs, artistes, médecins. Ils sont devenus fantômes, et moi, gardienne d’une mémoire trop lourde. Leurs noms résonnent dans les couloirs vides : Mehdi, Youssef, Rayan. Des syllabes qui sonnent comme un glas.
La ville de Mezzouna pleure, mais ses larmes ne lavent pas la honte. Les bulldozers ronronnent enfin, mais ils ne rendront pas les battements de cœur qui manquent à l’appel. Je m’accroche à ce qui reste : des stylos sans mains, des rires en écho, une colère sourde qui dit «Plus jamais ça».
Plus jamais ça.
Mais les murs ont la mémoire longue, et les plaies des mères, éternelles.
Enfin, au nom de toute la communauté scolaire, j’adresse mes pensées les plus sincères et mes vœux de prompt rétablissement aux deux lycéens blessés lors de ce tragique accident. Que le courage et le soutien de leurs proches, de leurs camarades et de leurs enseignants les accompagnent dans cette épreuve difficile. Nous espérons de tout cœur les revoir bientôt parmi nous, en pleine santé, pour poursuivre leurs rêves et retrouver la chaleur de la vie scolaire.
* Professeur à l’Ecole nationale d’ingénieurs de Gafsa.
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