La France bienpensante est sonnée par la victoire de l’extrême-droite aux élections régionales. Décryptage d’un étranger résidant en France.
Par Amor Cherni*
Les regards d’une partie du monde au moins sont tournés ces jours-ci vers la France. Après les événements sanglants du 13 novembre à Paris et Saint-Denis (proche banlieue parisienne) et en même temps que les travaux de la COP21 (sur le climat), les élections régionales du 6 décembre sont venues mettre la France encore une fois sur la scène mondiale.
Les résultats de ces dernières ne sont pas moins «dramatiques» que ceux des événements du mois passé. Ils ont suscité et susciteront encore autant d’émois en France qu’à l’étranger et en particulier en Europe. Le grand événement, auquel du reste beaucoup s’attendaient, est la confirmation du Front National (FN) comme premier parti de France aux élections régionales, après l’avoir été aux élections européennes.
Des thèses toutes fausses et toutes vraies
Il n’est que trop facile de dire que la victoire de la droite et plus précisément de l’extrême-droite est la conséquence des erreurs de la gauche. Malheureusement, la facilité n’est pas forcément une erreur lorsqu’il s’agit de phénomènes macroscopiques et a fortiori politiques. Platon ne disait-il pas que la politique est l’une des rares choses qui ne sont pas à enseigner parce qu’elle est «l’affaire de tous»?
Certains diront que la victoire du FN est l’effet immédiat de la montée du terrorisme en France. D’autres diront qu’elle est le résultat du «laxisme» des gouvernements «républicains» successifs à le combattre. D’autres crieront à la «dérive sécuritaire» dans laquelle l’actuel gouvernement se serait laissé prendre. D’autres encore, plus savants ou plus «innocents», mettront en cause la «capitulation de la pensée». D’autres enfin mettront l’accent sur le «type de discours» du FN dont les ressorts sont l’amalgame et le simplisme, mettant en équation émigration et terrorisme, émigration et chômage, étrangers et prestations sociales, crise économique et «perte de souveraineté», morosité et Europe, etc.
Pour l’observateur étranger, résidant en France, toutes ces thèses sont fausses lorsqu’elles sont prises une à une; mais elles sont toutes vraies lorsqu’elles sont considérées ensemble et dans leu globalité !
Le grand malaise d’un pays devenu ordinaire
La France souffre d’un grand malaise devenu, depuis longtemps, chronique. On ne pourrait, bien entendu, en faire état ici. On se contentera de dire qu’elle est tiraillée entre son histoire et sa géographie. La première lui rappelle son image de grande puissance, la seconde la rive à son présent et à sa place actuelle comme un «pays ordinaire» de l’Europe. Elle ne peut ni se départir de son «rôle dans le monde», ni se dégager de ses responsabilités européennes.
Il est certain que l’Europe lui a fait beaucoup de tort ! C’est là l’un des axes sur lesquels se concentrent les critiques de toutes les tendances «souverainistes» qui sembleraient se confondre avec des critiques «passéistes». Mais il n’en reste pas moins que c’est là un problème réel dont la simple évocation suscite beaucoup de passions et dont le prix électoral demeure toujours élevé.
On ne peut tout de même pas s’attendre à ce qu’un peuple comme le peuple français abdique sa souveraineté. C’est ce que les «partis de gouvernement» et même «la gauche de la gauche» n’ont pas compris. C’est pourtant là-dessus que le FN fait ses meilleurs scores, bien que tout le monde sache que ce n’est qu’une utopie. Mais c’est une utopie qui suscite et suscitera toujours le rêve de la liberté et de l’indépendance.
A vrai dire, la «souveraineté perdue», si tant est qu’elle le soit, n’est pas tant politique qu’économique. A coup sûr, l’Europe a soumis la France non à quelque despotisme monarchique, mais plutôt au despotisme oligarchique, celui du profit, de la sacro-sainte compétitivité, du «pacte de stabilité» et des marchés financiers.
Il en est de même des autres problèmes qui font l’actualité. Encore un exemple, les «gouvernements républicains successifs» ont admis ce qui était inadmissible : le pourrissement des cités et la constitution, dans les banlieues de certaines grandes villes, de «zones de non-droit». Cette question a été traitée, à l’instar de tant d’autres, comme une «question sociale», alors qu’il s’agissait bel est bien d’un grave problème économique et humain. On a oublié ou feint d’oublier que «l’intégration» ne peut se faire que par le travail et que la seule solution au «problème de l’insécurité» ne se trouve ni dans le RMI, ni dans le RSA, mais dans le salaire dûment mérité. On a oublié qu’un jeune homme ou une jeune fille a beaucoup plus besoin de dépenser son énergie au profit de son pays et d’être utile aux siens, que d’avoir de l’argent pour rien !
Une révolution encore à faire
Or, comme pour l’Europe, la France s’étant engagée, tête baissée, dans la sinistre mondialisation, n’avait plus les moyens de donner de l’emploi à ses jeunes, surtout à ceux issus de l’émigration. Pourtant, on vient de le voir, le FN a réalisé ses plus grands succès chez les jeunes ! Quel avenir pour la France ! Cette jeunesse oubliée, léguée au chômage et abrutie par les réseaux sociaux, ne peut que voter FN ! Demain, elle risque d’être une proie facile à toutes les formes de fascisme ! On est bien loin de mai 68 et de la jeunesse gauchiste qui rêvait de transformer le monde !
On pourrait continuer à énumérer, ô avec combien de regrets, les maux de la France. Cependant, la France est un grand pays qui saura triompher de ses difficultés. Pour le moment, elle ressemble à l’albatros, dont son grand poète disait : «Ses ailes de géant l’empêchent de marcher».
Mais un jour, l’oiseau géant s’envolera et fendra de ses ailes les grands espaces.
Pour la petite histoire, et peut-être même pour la grande, une jeune étudiante tunisienne à Paris, ne cesse de demander à son père: «Quand est-ce que les Français vont faire comme nous? Quand est-ce qu’ils vont faire leur révolution?!»
* Philosophe.
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