Le décalage est de plus en plus perceptible en Tunisie entre le discours politique promettant monts et merveilles et la réalité de la cherté de la vie et de la dégradation du pouvoir d’achat, couronnées récemment par une recrudescence inquiétante des pénuries et de la vague migratoire clandestine. Jusqu’à quand dirigeants et citoyens vont-ils continuer à faire semblant et à se duper les uns les autres?
Par Elyes Kasri *
La récente prolifération de promesses aux retraités et aux catégories démunies, de même que les annonces tronquées de récupération par la Tunisie de gisements d’hydrocarbures en dépit de la réalité qui semble moins réjouissante d’après les connaisseurs, viseraient selon certains observateurs à atténuer les inquiétudes dues au décalage de plus en plus perceptible entre le discours politique promettant monts et merveilles et la réalité de la cherté de la vie et de la dégradation du pouvoir d’achat ainsi que de l’emploi couronnées récemment par une recrudescence inquiétante des pénuries et de la vague migratoire clandestine.
Ils font semblant de nous payer…
Avec des négociations interminables et un accord qui tarde à venir avec le Fonds monétaire international (FMI) sur un programme crédible et réalisable de réformes devenues inévitables, le gouvernement se contente de piocher dans le secteur bancaire local pour payer la note exorbitante de la fonction publique et du secteur public devenus un véritable boulet au pied de la Tunisie.
Quant à la compensation, on ne cesse d’entendre des promesses de l’adresser à ses destinataires légitimes sans arriver à en mettre en place les mécanismes de sélection et de distribution.
Il devient de plus en plus évident que les palliatifs occasionnels en vigueur depuis plus d’une décennie ne sont pas en mesure de remplacer le besoin devenu urgent d’un nouveau modèle économique fondé sur une équation soutenable entre rémunération et productivité avec la réalité des salaires et des prix et une valorisation des compétences humaines et des atouts géographiques de la Tunisie.
La renonciation à la politique de sur-taxation et la mise en place d’une vaste réforme de la fiscalité de même qu’une refonte du rôle et des mécanismes d’intervention de l’Etat ne peuvent plus être reportées aux calendes grecques dans l’attente des prochaines échéances politiques.
Toujours faut-il en avoir la vision et tenir le discours approprié pour rallier un consensus national suffisant afin de réaliser cette véritable révolution devenue vitale pour la Tunisie et tant attendue par les Tunisiens au lieu des interminables palabres juridiques qui ont montré leur inadéquation et leur stérilité.
Nous faisons semblant de travailler
La situation actuelle de la Tunisie rappelle les derniers jours de l’Union Soviétique quand un diplomate soviétique confiait : «Ils (les responsables de l’Etat) font semblant de nous payer et nous faisons semblant de travailler.»
La Tunisie a longtemps commis l’erreur de miser sur une main d’œuvre à bas prix au lieu de la productivité et de la valeur ajoutée. Force est de constater qu’avec des salaires parmi les plus bas au monde, la Tunisie est loin d’intéresser les investisseurs européens ou japonais quels que soient le tapage et les illusions autour des grandes messes comme Tunis 2020 ou Ticad 8.
Il est grand temps de mettre fin à ce modèle économique qui entraîne le pays vers l’abîme et ne crée que la précarité, les détournements et la corruption avec leur corollaire sociopolitique de ressentiment et de rancœur, terreau électoral de la plupart des politiciens depuis 2011.
* Ancien ambassadeur au Japon et en Allemagne.
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