Tunisie : Kaïs Saïed et la corruption, une comédie qui a trop duré

La guerre contre la corruption, qui sert au président de la république Kaïs Saïed pour mobiliser ses troupes, en leur faisant miroiter l’illusion d’un enrichissement général d’autant plus facile qu’il consistera à «récupérer l’argent spolié au peuple», est en passe de dégénérer en une triste comédie, qui laisse tout le monde sur sa faim. Et c’est le cas de le dire… (Illustration : le président poursuit sa guerre contre la corruption, trop de bruit pour rien !)

Par Imed Bahri    

Le président de la république Kais Saïed a ordonné, mercredi 24 août 2022, l’ouverture de deux enquêtes, l’une administrative et l’autre judiciaire, sur les abus enregistrés au sein de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolière (Etap) «afin que chacun assume ses responsabilités».

Cette décision a été annoncée à l’issue de la rencontre qu’a eue le chef de l’Etat avec Neila Nouira Gongi, ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, qui était accompagnée du président directeur général de la Société tunisienne de distribution des pétroles (Agil) Khaled Betin, un ancien de l’Etap, et du secrétaire général du syndicat de base de cette entreprise publique Kais Bejaoui.

Des enquêtes sans suite

La rencontre est venue après l’annonce de l’abandon par la société Shell de la plateforme offshore d’extraction de gaz Miskar dans le golfe de Gabès. Et il s’agit bien d’abandon et non de nationalisation, comme se plaisent à le relayer les partisans de Saïed dans les réseaux sociaux en appelant à la restitution des ressources nationales usurpées au «peuple qui veut».

L’enquête ordonnée laisse entendre qu’il y aurait, derrière ce départ, une affaire de corruption. Et pour ne rien arranger, l’absence à cette rencontre du Pdg de l’Etap, le premier concerné, désigne ce dernier, indirectement, comme un potentiel coupable.  

Tout cela sent mauvais et le chef de l’Etat va finir par nous convaincre que tout dans le pays est gangrené par la corruption et que si rien ne fonctionne comme il faut, pratiquement dans tous les secteurs, il n’y a pas de problèmes structurels ni de carences de gouvernance, mais un plan diabolique pour saboter l’Etat, et dont il serait lui la principale cible.

On aurait pu mordre à l’hameçon et prendre ces allégations pour argent comptant comme beaucoup de Tunisiens qui, au lieu de travailler et de créer des richesses préfèrent attendre les milliards spoliés au peuple qui vont pleuvoir sur eux, si au moins une seule des enquêtes ordonnées par M. Saïed – et il en ordonne à tour de bras – a abouti à des révélations fracassantes et à des condamnations juridiquement étayées par des preuves matérielles.

Or, pour le moment, il n’en fut rien. On entend parler d’enquêtes dont la chronique occupe les gens pendant un certain temps avant de se perdre en chemin, puisqu’il y a rarement des suites, et le président lui-même tourne la tête pour regarder ailleurs et parler d’autre chose, comme si de rien n’était ou comme si sa parole ne valait rien et servait juste à mobiliser ses troupes.

Cette comédie a trop duré, et les Tunisiens sont en droit d’exiger de connaître le sort de toutes les enquêtes ordonnées jusque-là par le chef de l’Etat et de voir les responsables de la corruption identifiés et sanctionnés par la justice.

Si Mme Rabhi ne fait pas son boulot, elle devrait être remerciée.

Un hyper-président qui ne gère rien

Durant la même journée, le président s’est entretenu au palais de Carthage avec la ministre du Commerce et du Développement des exportations, Fadhila Rabhi et l’entretien a porté, encore une fois, sur la nécessité de lutter contre la spéculation. Et à cette occasion, le président de la république a insisté, encore une fois, sur l’importance de faire face aux spéculateurs et à tous ceux qui menacent de détruire certains produits pour en augmenter les prix, rappelant la nécessité de la coordination entre les différents appareils de l’Etat, pour arriver à cette fin. Et Saïed, dont la parole est en passe de devenir un bruit de fond ronronnant et lassant, a appelé à poursuivre quiconque tenterait de détruire les productions nationales, à l’instar des pommes de terre, rappelant la possibilité de confisquer les productions qui risquent d’être détruites, en faisant remarquer, à ce propos, que le stockage n’est pas interdit par la loi, contrairement à la spéculation et au monopole.

Sur un autre plan, le président de la république a souligné la nécessité d’assurer la disponibilité sur le marché, des fournitures scolaires à des prix et qualités convenables, appelant toutes les parties prenantes à agir fermement contre ceux qui tenteraient de profiter de ces occasions pour s’enrichir illégalement.

Là aussi, on l’a compris, et on aimerait que le président le comprenne lui aussi enfin, il ne s’agit pas d’entasser les lois, si les autorités sont incapables de les faire respecter, comme c’est le cas pour la fameuse loi sur la spéculation et le monopole qu’il avait promulguée il y a quelques mois et qui n’a finalement servi à rien.

Si le président est à ce point bien informé sur les pratiques frauduleuses des marchands de pomme de terre, comme il le laisse entendre, qu’est-ce qu’il attend pour ordonner aux services de l’Etat, dont il détient tous les leviers, pour arrêter les fraudeurs et les traduire devant la justice ?

Là aussi, la comédie a trop duré et l’on se demande jusqu’à quand les Tunisiens vont continuer à avaler des couleuvres, en attendant que les milliards leur tombent du ciel par la seule baraka d’un hyper-président qui possède tous les pouvoirs constitutionnels et qui, au final, ne gère rien convenablement.    

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