Si l’ambition du président Kaïs Saïed de réformer le système politique en place en Tunisie depuis 2015 est louable car elle part du constat de blocage institutionnel et politique provoqué par ce système mal conçu dès le départ, son exercice solitaire du pouvoir et les ambiguïtés de son discours suscitent des réserves justifiées chez ses adversaires et, parfois même, parmi ses soutiens.
Par Elyes Kasri *
Le président de la république Kais Saied semble tenté par le rétablissement de la constitution de 1959 moyennant quelques amendements et de procéder, à la suite d’une réforme de la loi électorale, à des élections anticipées qui pourraient concerner en plus du parlement, la présidence de la république.
Si les errances du régime semi-parlementaire issu de la Constitution de 2014, qui sont un mélange toxique de basses combines des partis et de groupuscules politiques et d’un exécutif amorphe paralysé par des attributions vagues et une cohabitation le plus souvent houleuse entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement, l’ambition du président Kais Saied suscitent des craintes tant par son flou et l’absence de communication et de débat sur sa doctrine constitutionnelle et politique que sur sa méthode personnelle d’exercice du pouvoir qui rappelle aux esprits les dangers et les dérives possibles de l’exercice solitaire du pouvoir.
Les dérives possibles de l’exercice solitaire du pouvoir
Quand on constate la manière de gouverner et de communiquer du président Saied, on ne peut s’empêcher, malgré l’échec incontestable du régime politique instauré par la constitution de 2014, de nourrir des appréhensions à l’égard de ses vues, convictions et objectifs.
Rien qu’à voir sa gestion des relations internationales de la Tunisie, sans un conseiller diplomatique qualifié et en marginalisant à outrance le ministre des Affaires étrangères et surtout en refusant d’engager un dialogue national serein, loin des soliloques et des mégaphones, sur les principes directeurs de la diplomatie tunisienne tels qu’il les voit et les principaux champs d’intervention et objectifs de cette diplomatie, on ne peut s’empêcher de nourrir des craintes quant à ce qu’il propose à une Tunisie au bord de l’explosion sociale, de la faillite économique et financière et confrontée à une pandémie qui s’intensifie et risque de faire des ravages parmi une population exsangue et désespérée.
Ne pas blanchir les responsables d’une décennie noire
Cependant, et dans l’état actuel des choses, tout dialogue prétendument national, comme celui que propose l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), ne pourrait viser qu’à blanchir les responsables d’une décennie noire de démantèlement de l’Etat et de l’économie nationale et ne ferait que légitimer la prochaine mise de la Tunisie sous la tutelle de ses créanciers étrangers.
Ceux qui veulent trouver des solutions faciles par l’endettement étranger devraient commencer d’abord par enlever les entraves à la production nationale de phosphate et d’hydrocarbures et limiter les importations formelles et informelles qui ont détruit le tissu industriel national.
Avec tous ses défauts et excès de langage, Kais Saied était bien inspiré en exprimant, lors de sa réunion avec les anciens chefs du gouvernement, des doutes sur le patriotisme des fondements du dialogue national de 2013, menée par quatre organisations nationales dont l’UGTT. Certains semblent avoir oublié le rôle des chancelleries étrangères et notamment un certain méchoui à la suite duquel Mehdi Jomaa a été adoubé pour diriger le gouvernement de technocrates.
* Ancien ambassadeur de Tunisie au Japon et en Allemagne.
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