L’Union européenne (UE) attend aussi de voir le président Saïed faire connaître rapidement sa feuille de route promise depuis le 25 juillet et non encore annoncée. Elle aimerait aussi voir celle-ci contenir des actions institutionnelles, politiques, économiques, sociales et culturelles réalistes, crédibles et réalisables, dans le droit fil de la culture tunisienne et loin de tout aventurisme.
Par Raouf Chatty *
Josep Borell, haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, vice-président de la Commission européenne, effectue depuis hier, jeudi 9 septembre 2021, une visite officielle de deux jours en Tunisie. C’est sa première visite dans notre pays après sa nomination à ce poste en 2019.
Le haut responsable européen s’est entretenu avec des responsables d’institutions nationales, des parlementaires et des activistes de la société civile, et aura des entretiens avec, successivement, la cheffe de cabinet du président de la république, Nadia Akacha, la chargée du ministère de l’Economie et des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, avant de couronner ses entretiens par une audience avec le président de la république, Kais Saïed. Le programme ne prévoit pas un entretien avec le ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi.
Elle fait suite aux contacts de très haut niveaux entre des hauts responsables français et américains avec le président de la république après l’annonce des mesures exceptionnelles le 25 juillet dernier, et aux visites de hauts responsables américains à Tunis les 13 août et 4 septembre pour s’enquérir de l’évolution de la situation politique dans notre pays à la lumière de ces mesures pour le moins controversées.
Elle intervient également après la réunion, le 7 septembre à Tunis, des ambassadeurs des pays des G7 en Tunisie qui ont publié un communiqué commun à ce sujet, largement commenté par le microcosme politique, les médias et la société civile à Tunis.
Ce communiqué a été jugé très important car il s’apparentait à une de feuille de route proposée par l’Union européenne et les États-Unis au président de la république et contenant les actions vivement souhaitées par les partenaires de la Tunisie pour l’étape à venir.
Comprendre la situation tunisienne dans sa complexité
Dans un tweet publié avant son arrivée à Tunis, Josep Borell parle d’une visite à «un moment crucial». Et souligne qu’il est en Tunisie pour «écouter nos amis Tunisiens, pour mieux comprendre la situation dans sa complexité et soutenir le peuple tunisien dans la construction d’une démocratie durable».
De la lecture attentive de ce message inaugurant sa visite quelques jours après celle de congressmen américains et la réunion à Tunis des ambassadeurs des pays du G7, il se dégage les idées forces suivantes :
1- par sa visite sur le terrain, le haut responsable européen vise à «mieux comprendre la situation dans sa complexité» au lendemain du changement du 25 juillet 2021 et à «soutenir le peuple tunisien dans la construction d’une démocratie durable».
Cela veut dire que l’Union européenne (EU) s’accommode maintenant de la nouvelle situation politique née dans le pays le 25 juillet, mais elle voudrait y voir plus clair, en procédant à une évaluation objective de la nouvelle donne, en dissipant les confusions entretenues par certaines parties (notamment le parti islamiste Ennahdha qui crie au complot contre la constitution par le président de la république) et en anticipant les évolutions ultérieures dans un pays avec lequel Bruxelles a des relations étroites dans tous les domaines.
La Tunisie est, en effet, un partenaire stratégique de l’UE, situé au cœur de la Méditerranée, aux portes de l’Europe et au milieu d’un Maghreb très instable, avec une Libye instable et une ambiance électrique entre l’Algérie et le Maroc.
Cela veut également dire que le haut responsable européen n’est pas venu à Tunis pour contester la nouvelle situation politique née de la volonté des Tunisiens et des mesures exceptionnelles annoncées le 25 juillet par le président Saïed, ou pour soutenir une partie politique contre une autre, ou pour réclamer le retour à l’ordre politique antérieur au 25 juillet. L’UE soutien le peuple tunisien dans la construction d’une démocratie durable, d’autant que les décisions du président Saied confortent la volonté exprimée massivement et de manière directe par les Tunisiens, qui ont rejeté en bloc l’islam politique et réclamé l’adoption d’un régime répondant mieux à leurs attentes et aux défis auxquels ils font face.
Pour une nouvelle ère de stabilité et de prospérité
Cela veut, par ailleurs, dire que l’UE aimerait voir la Tunisie post-25 juillet entrer dans une ère de stabilité permettant la construction d’une société démocratique, où le développement économique et social est conjugué à la bonne gouvernance, la transparence et le respect des libertés et des droits.
L’UE tient fortement à ce que la Tunisie redevienne comme elle l’a toujours été, à savoir un pôle de stabilité politique et de développement économique, dans un Maghreb stable au flanc sud de l’Europe, où les menaces habituelles (émigration clandestine, réseaux terroristes, crimes organisés…) sont bien contenus.
L’UE attend aussi de voir le président Saïed faire connaître rapidement sa feuille de route promise depuis le 25 juillet et non encore annoncée. Elle aimerait aussi voir celle-ci contenir des actions institutionnelles, politiques, économiques, sociales et culturelles réalistes, crédibles et réalisables, dans le droit fil de la culture tunisienne et loin de tout aventurisme.
Il va sans dire que l’UE appréhende les idées révolutionnaires de gouvernement direct par les masses que certaines parties prêtent au président Saïed et à certains membres de son entourage.
L’UE aimerait voir le nouveau gouvernement rapidement prendre place pour relancer les discussions sur les grands dossiers en suspens : la poursuite de la coopération dans tous les domaines, le statut de partenaire privilégié sollicité par la Tunisie, la finalisation des négociations de l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca)…
* Ancien ambassadeur.
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