Un adage djerbien résume l’émotion et le malaise lié : «Dans la houle des vents contraires, barques et pêcheurs rendent l’âme». Les manœuvres politiques ayant avorté la tenue du 18e Sommet de la Francophonie sont crapuleuses et offensantes aux valeurs identitaires du mode de vie djerbien ! Djerba, ce carrefour de civilisations et havre de pluralité ethnoculturelle, est meurtrie par une décision injustifiable et ayant un coût économique incommensurable. Djerba et les Djerbiens ne méritent pas cela. À qui la faute?
Par Moktar Lamari, Ph. D.
Il faut dire que depuis un an, et malgré la sévère pandémie de la Covid-19, Djerba se préparait pour cet événement international, et inlassablement pour honorer sa vocation de tolérance multiconfessionnelle et pour catalyser son potentiel productif, incontournable pour relancer l’économie à l’heure d’une mondialisation, où l’ouverture constitue le mot de passe et la condition sine qua non pour les échanges et les interactions.
Une annulation extrêmement coûteuse pour Djerba
Pour le Sommet de la Francophonie, Djerba a sorti ses plus beaux habits, a fait briller ses vitrines et lustré ses «bijoux» mondialement connus. Ses payeurs de taxes ont engagé plusieurs dizaines de millions de dinars, pour bien accueillir et dans les meilleures conditions, ces 20 000 hôtes attendus pour le 18e Sommet de la Francophonie.
Toutes confessions confondues, les 300 000 insulaires ont été assommés par la décision d’annulation du Sommet ! Abasourdis, extrêmement déçus par les instances décisionnelles de la Francophonie, et par les connivences politiques tuniso-tunisiennes qui ont appelé ouvertement pour l’annulation du Sommet de la Francophonie.
Plus de 100 000 nuitées prévues dans la centaine d’hôtels de l’Île des Lotophages se sont évaporées en un clin d’œil! Cette annulation a occasionné un manque à gagner qui se chiffre en centaines de millions de dinars.
Des estimations préliminaires portent à croire que l’ardoise de cette annulation se chiffre au moins à 2 milliards de dinars en perte sèche. Plusieurs millions d’euros et de dollars ne rentrent pas dans les caisses de la Banque centrale, notamment pour sauver des vies en important des vaccins, des médicaments et des produits de première nécessité… pour la Tunisie entière.
Responsabilités et pots cassés
À Guellala, à Mahboubine, à Sedouikch, et à Arkou, on n’aime pas les casseurs de poterie, de porcelaine et produits d’artisanat faits à la main, avec un amour et avec un savoir-faire qui a traversé l’histoire.
À Aghir, à Houmt Souk, comme dans les deux Haras (El-Hara Sguira et El-Hara Kbira), on ne dilapide pas son argent pour rien, on n’aime pas le gaspillage des ressources rares.
Certes en Tunisie, la valeur de l’argent n’est pas la même pour tous! Mais, ici à Djerba un sou c’est un sou, et on le gère à sa juste valeur ajoutée, à sa valeur marginale, sans perdre de vue ses usages alternatifs! C’est le précepte fondateur de l’économie. Un précepte, à des années-lumière des valeurs vénales des élites politiques ayant gouverné le pays du post-2011.
Trois négligences à incriminer dans cette cacophonie qui a flingué le Sommet de la Francophonie à Djerba!
Les moufettes de l´islamisme radical
L’islam radical a, depuis des mois, appelé de ses vœux le boycottage et l’annulation du Sommet de la Francophonie prévu à Djerba.
Les relais internationaux des partis islamistes ont appelé aussi à l’embargo contre la Tunisie. Ils l’ont fait sur toutes les tribunes internationales, depuis le coup de barre politique opéré le 25 juillet en Tunisie, pour les mettre hors d’état de nuire…, après dix ans de mal-gouvernance et de malversation.
Le forcing politique du 25 juillet a gelé un parlement devenu un refuge à une pègre constituée d’islamistes radicalisés, de trafiquants notoires et de mafieux connus pour leur corruption et leur malversation. Ce forcing a redressé la barre d’une dérive démontrée par tous les indicateurs économiques.
L’islamisme politique prôné par le parti Ennahdha assume une grande responsabilité dans pour l’annulation du Sommet de la Francophonie.
Djerba n’est pas dans le cœur du parti islamique. Et il y a de quoi!
Il y a deux ans, Rached Ghannouchi en personne a été conspué en public et stoppé net par des femmes libres, et ce en plein jour, alors qu’il passait, escorté de ses milices, par la place centrale (café Ben Damach), en mission de reconquête de l’opinion publique Djerbienne. L’incident a été mal digéré et cet événement en disait long sur les enjeux et l’histoire de la haine manifeste que réserve l’islam politique à ces insulaires apôtres de l’ouverture et de la cohabitation des confessions et des communautés : Berbères, Arabes, Grecs, Hispaniques, Bosniaques, Français, Libyens, ou encore musulmans sunnites, ibadites originaires du Mzab algérien, juifs, chrétiens orthodoxes, pour ne pas citer que ceux-là!
Les corneilles et les esprits colonisés, prêts à tout…
Les Frères musulmans, alliés stratégiques du parti Ennahdha, ont été manipulés pour pousser à leur tour vers l’annulation du Sommet à Djerba. Leur mandat : appeler ouvertement la France à intervenir en Tunisie… et ajoutant que les amis du Qatar sauront vous remercier, en devises cash…
Moncef, Marzouki ayant été premier président («provisoire») de l’ère post 2011, imposé par les islamistes, n’attendait que cela, pour s’exécuter et appeler ouvertement et en plein Paris, lors d’un discours filmé, l’annulation du Sommet de la Francophonie à Djerba.
De la lâcheté à son comble, de la traîtrise à son comble… Mazouki a fait la job télécommandée par les islamistes de Ghannouchi, et il serait fier de l’avoir fait. Comme quoi, le ridicule ne tue pas, mais peut rendre plus fort…
L’histoire se rappellera de cette trahison historique et de ses ramifications atypiques mettant main dans la main, un islamisme radical et une gauche-caviar, prête à tout, ayant perdu sa légitimité, ses repères et ses valeurs.
Les présidentielles françaises ont tiré les ficelles
L’annulation du Sommet de la Francophonie prévu à Djerba s’est inscrite aussi dans le cadre du glissement à droite de la campagne électorale en France, six mois avant les élections présidentielles.
En France, les partis politiques en lice pour les élections présidentielles concourent désormais sur des thèmes racistes et fondamentalement anti-Maghreb et anti-Maghrébins. Le tout dans un contexte où l’extrême droite surfe sur une vague favorable pouvant l’amener à gagner les élections présidentielles.
Le sommet de l’État français ne recule devant rien pour dévaloriser le Maghreb: réduction de visas pour les pays du Maghreb, attaque frontale conte l’identité et la souveraineté du peuple algérien, accusation du Maroc d’espionnage et d’écoute des conversations tenues au Palais de l’Élysée…
L’annulation du Sommet de la Francophonie s’inscrit aussi dans cette foulée de radicalisation d’un discours haineux contre les émigrés d’origine maghrébine, le tout pour que les candidats aux présidentielles grignotent davantage de votes et d’électorat partisan de l’extrême droite en France.
Décevant de voir la France converger vers de telles positions… au point de pousser les «parlementaires» de la Francophonie décider contre le principal îlot de tolérance et de cohabitation multiculturelle en Afrique du Nord.
Et ce type d’errements franco-français pousse plusieurs pays africains, communautés et familles vers l’adoption de la langue anglaise en place et lieu de la langue française dans les écoles et lycées dans ces pays.
Cela dit, l’annulation du Sommet de la Francophonie prévu à Djerba a un coût économique fort élevé qui ne doit pas être supporté uniquement par Djerba et les Djerbiens !
Dans cette annulation, dans ce chaos cacophonique, la responsabilité des islamistes d’Ennahdha n’est plus à prouver. Celle de Marzouki et assimilés l’est aussi. La France a fait sa part en jouant le jeu de l’islamisme politique en Tunisie.
À Djerba, les citoyens affectés économiquement et moralement par cette annulation imprévue et télécommandée par des acteurs politiques connus pour leur manigance, doivent demander des compensations, dommages et intérêts…
* Universitaire au Canada.
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