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Report du Sommet de la francophonie : un échec cuisant de la diplomatie tunisienne

Kais Saied reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron en 2020.

Le report à 2022, sans date précise, du 18e Sommet mondial de la Francophonie, qui devait se tenir à Djerba, en Tunisie, les 20 et 21 novembre 2021, n’est pas un succès de la diplomatie tunisienne, comme on essaie vainement de nous le faire avaler. Mais la preuve éclatante de son incapacité à faire entendre la voix des Tunisiens à l’étranger.

Par Imed Bahri

En fait, ce report est une énième preuve de la détérioration de l’image de la Tunisie sur le plan international et de l’incapacité de notre diplomatie à redorer le blason d’un pays où tout fout le camp à un rythme accéléré. Et dire que l’incarnation même de cet échec cuisant de notre diplomatie, le ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi, a été maintenu à son poste dans le nouveau gouvernement Najla Bouden, annoncé lundi 11 octobre 2021. C’est ce qu’on appelle une prime à la médiocrité…

On a juste évité une gifle retentissante

C’est le recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), Slim Khalbous. qui a annoncé ce report dans un post publié hier, mardi 12 octobre 2021 : «Le conseil permanent de la Francophonie, auquel j’ai eu le plaisir de participer aujourd’hui, vient de décider de laisser l’organisation du sommet mondial de la Francophonie à la Tunisie à Djerba avec un report d’un an», a-t-il indiqué, en ajoutant sous forme de cocorico : «Bravo à la diplomatie tunisienne pour l’excellence du travail effectué pour défendre les intérêts de notre pays. Mabrouk ! Djerba 2022».

L’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui est un fonctionnaire et un acteur actif de la francophonie, a voulu mettre en valeur son «succès personnel», mais s’il a réussi une chose, ce que nous avons de bonnes raisons de mettre en doute, c’est à éviter à 12 millions de Tunisiennes et de Tunisiens une gifle retentissante qui était pourtant attendue, car les bruits de coulisses étaient, depuis quelques semaines, défavorables à la Tunisie et beaucoup de chefs d’État n’étaient pas disposés à venir à Djerba. La France, à travers l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), était très gênée aux entournures, car elle pensait pouvoir maintenir ce sommet déjà reporté depuis an, ne fut-ce que pour éviter d’offenser la Tunisie, pays fondateur et membre historique de cette instance internationale.

Le silence assourdissant de la diplomatie tunisienne à propos de cette affaire est d’ailleurs très éloquent, car la responsabilité du report du sommet revient plutôt à la diplomatie française, qui y a vu un bien moindre mal. Et c’est la preuve de l’échec de la diplomatie tunisienne, dont on ne peut pas dire que ses représentants dans la cinquantaine capitales des pays membres de l’OIF se sont beaucoup démenés pour expliquer la situation politique en Tunisie et justifier les «mesures exceptionnelles» annoncées le 25 juillet dernier par le président Kaïs Saïed. Lequel est présenté, depuis cette date, par pratiquement tous les médias du monde, du Figaro au New York Times, de La Repubblica au Guardian et d’El Pais au Washington Post, comme un… affreux dictateur. Le lobbying des Frères musulmans et de leur filiale tunisienne, le parti islamiste Ennahdha, à Washington, Londres et Paris, y a été pour quelque chose.

Une image détérioré de la Tunisie à l’étranger

Preuve de cet échec cuisant que Tunis ne pourra pas maquiller en succès (la couleuvre serait trop dur à avaler), cet extrait d’un article publié le 9 octobre 2021 par Jean-Louis Roy, secrétaire général honoraire de la Francophonie, dans le quotidien Le Devoir, au Canada, pays très actif et très influent au sein de l’OIF, sous le titre programme «Reporter le sommet de la francophonie»

Après avoir évoqué le premier report du sommet, qui devait se tenir l’automne dernier, pour cause de Covid-19, l’auteur écrit : «Si la pandémie semble ne plus être un obstacle, dans l’intervalle, une autre infection s’est abattue sur la Tunisie ces trois derniers mois. Le virus qu’elle porte s’attaque aux valeurs démocratiques, à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs et aux droits de la personne.» Et M. Roy de rappeler que le président Kais Saied a, en juillet dernier, «renvoyé le Premier ministre, suspendu le Parlement et levé l’immunité de tous ses membres. De plus, il s’est octroyé les pleins pouvoirs judiciaires confiés à des tribunaux militaires. Des parlementaires ont été arrêtés, des journalistes attaqués, des personnalités assignées à résidence, et un grand nombre interdites de voyager à l’étranger. Enfin, en septembre dernier, le président Kais Saied a suspendu la Constitution et annoncé qu’il gouvernerait par décrets et présiderait lui-même le pouvoir exécutif. Pour lui, les décrets présidentiels ont une valeur supérieure aux dispositions constitutionnelles. Cette posture sera mise en œuvre au moment même où le sommet doit se réunir.»

Une diplomatie absente, inaudible et inefficace

On ne s’attardera pas sur les contre-vérités contenues dans ce passage, car M. Saïed ne s’est nullement octroyé les pleins pouvoirs judiciaires et n’a nullement confié la justice aux tribunaux militaires, la justice étant totalement indépendante de la volonté du locataire du Palais de Carthage, qui n’a cessé d’ailleurs de lui reprocher ses innombrables carences. Mais à qui reprocher cette incompréhension et cette image brouillée de notre pays qui ne parvient pas à faire entendre, dans le monde, la voix d’une écrasante majorité de Tunisiens qui soutiennent les «mesures exceptionnelles» décrétées par Kais Saïed et qui attendent de ce dernier, un homme intègre et patriote, une vraie réforme qui rompe avec la corruption généralisée et la mal-gouvernance sévissant jusque-là dans le pays, sinon la diplomatie tunisienne, qui a prouvé, en cette période de crise, ce que nous avions déjà affirmé en plusieurs occasions, dans ce même journal, à savoir qu’elle est absente, inaudible et inefficace.

C’est à se demander à quoi servent tous ces diplomates en poste dans les capitales du monde qui coûtent très cher aux contribuables et qui sont incapables de faire entendre la voix de leur peuple à l’étranger ?

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